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Histoire - Page 5

  • Les organisateurs de la défaite

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     " Cette philosophie de l’impuissance, qui cherche à faire accepter les défaites comme de nécessaires anneaux dans la chaîne des développements cosmiques, est parfaitement incapable de poser, et se refuse à poser, la question du rôle des facteurs aussi concrets que les programmes, les partis, les personnalités qui furent les organisateurs de la défaite. Cette philosophie du fatalisme et de la prostration est diamétralement opposé au marxisme, théorie de l’action révolutionnaire." Léon Trotsky

    Athènes a donc présenté une proposition de mesures d’austérité de 13 milliards d'euros alors que le plan d’austérité de 9 milliards d'euros venait d'être massivement rejeté par les Grecs ! Alexis Tsipras, dirigeant de Syriza et  Premier ministre grec, a ainsi répudié la volonté du peuple grec exprimée lors du referendum et a illustré une nouvelle fois " la faiblesse incurable, l’impuissance du réformisme légal en temps de crise et de déclin capitalistes, quand la contraction du profit tend les antagonismes et pose entre les classes et le pays la question de force."

    Au programme des réjouissances grecques :

     "Une augmentation progressive de l’âge de la retraite de 62 à 67, achevé en 2022, accompagnée de « mesures dissuasives » contre les retraites anticipées.

    L’élimination d’une prestation de solidarité pour les retraités pauvres et une augmentation de 50% des coûts de soins pour les retraités.

    Une hausse de la TVA sur la plupart des produits à 23 %, appliquée aussi aux îles grecques, souvent pauvres et isolées.

    Des réductions des salaires du secteur public, imposées en « unifiant » la grille des salaires, ainsi que d’autres attaques contre le Code du travail.

    L’achèvement de toutes les privatisations actuellement prévues, y compris les aéroports régionaux et les ports du Pirée, de Thessalonique et de Hellinikon.

    Des coupes aux subventions pour les agriculteurs, ainsi qu’une fiscalité, visant à augmenter l’imposition des petites entreprises, des propriétaires fonciers et des travailleurs indépendants." ( WSWS)

    Déjà le syndicat des fonctionnaires grecs, Adedy, appelle à une grève de 24 heures mercredi et à des manifestations sur la place Syntagma à Athènes. Mercredi est le jour probable du vote au Parlement de nouvelles mesures d’austérité décidées à Bruxelles en échange d'un nouveau prêt à la Grèce. C’est la première grève depuis l'arrivée au pouvoir de Syriza en janvier. (RFI)

    "Il ne faut donc pas se tromper dans l’appréciation de la portée de l’événement oχi. Il est des plus que douteux que le gouvernement Syriza obtienne davantage que des concessions marginales — dont il lui appartiendra de faire comme il peut une présentation triomphale… Mais ça n’est pas ainsi qu’il faut juger de l’événement, car c’est un ébranlement d’une tout autre sorte qui s’est produit dimanche 5 juillet. L’ébranlement d’un peuple entier entré en rébellion contre les institutions européennes. Et l’annonce d’un crépuscule — donc aussi d’une aube à venir." Frédéric Lordon

    *

    > Syriza trahit la classe ouvrière grecque. Par Alex Lantier WSWS

    > Référendum: Grèce, l’ombre de « Prométhée » de l’Otan - Par Manlio Dinucci - CA Mondialisation

    > La Grèce et l'absurde.  Par Jacques Cotta. Tout laissait penser à un sursaut salvateur pour tous les peuples d’Europe venant de Grèce. Les conditions étaient requises. Et pourtant…

    > Pour étrangler la Grèce, une Europe avec des guillemets.  Par Bernard Cassen - Mémoires des luttes

    > A l’heure grecque : pourquoi ne pas supprimer le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ?

    > Le crépuscule d'une époque, par Frédéric Lordon

     

    >  Classe, parti et direction / Léon Trotsky :  Pourquoi le prolétariat espagnol a-t-il été vaincu ?
    (Questions de théorie marxiste) été 1939

    > "La fin misérable de l’expérience Blum"  Jean Bernier - Le Libertaire, 24 juin 1937 - sur ce blog

     

     

  • 10 juillet 1940 : les Quatre-vingts qui dirent « non »

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    Le  22 juin 1940 le maréchal Pétain fit signer l'armistice avec l'Allemagne, retirant ainsi la France du conflit.

    Le 29 juin 1940, Pétain, président du conseil depuis le 16 juin, acceptait la proposition de Pierre Laval, vice-président du conseil depuis le 23 juin, et engageait le processus d'abrogation de la Constitution.

    Après la signature de l’armistice par le gouvernement français, le gouvernement anglais craignait que les forces de l'Axe (Allemagne et Italie) ne mettent la main sur la flotte française - la deuxième du monde.

    Le 3 juillet 1940, les forces britanniques coulèrent une escadre de la marine française dans le port algérien de Mers-el-Kebir.

    Une semaine plus tard, le mercredi 10 juillet 1940, le projet Laval légèrement modifié était soumis à l'Assemblée nationale qui réunissait à l'époque 846 députés et sénateurs - 61 parlementaires communistes avaient été déchus de leur mandat dès 1939 et 27 autres parlementaires avaient embarqué le 21 juin sur le Massilia pour rejoindre l’Afrique du Nord et continuer la lutte si l’armistice était refusé.

    Vincent Badie, qui souhaitait présenter la motion des 27 parlementaires opposés au projet laval qui donnait " à certains de leurs collègues un pouvoir dictatorial" qui "aboutirait inéluctablement à la disparition du régime républicain" se vit interdire de parole et de tribune par le président de l'assemblée Jules Jeanneney. 

    A l'exception de 80 parlementaires qui votèrent non, l'Assemblée donnait les pleins pouvoirs à Pétain, mettant fin à la IIIe République et intronisant le « régime de Vichy » celui d'un "ordre social nouveau" qui versera très vite dans la collaboration la plus servile avec le régime nazi dont il fut un ardent défenseur.

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    > Les Quatre-vingts qui dirent « non » au projet de loi du 10 juillet 1940

    > Vote des pleins pouvoirs constituants à Pétain  Wikipedia

     

  • Mort de Pierre Overney, militant de la Gauche prolétarienne

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    25 février 1972 : mort de Pierre Overney

    Affiche%20obseques.jpgLe 25 février 1972, Pierre Overney, militant maoïste de la Gauche prolétarienne (GP), diffusait un tract pour une manifestation antifasciste au métro Charonne, dix ans après les massacres du 8 février 1962

    Ce jour-là, Pierre Overney fut tué par Jean-Antoine Tramoni, ancien adjudant-chef de Massu et vigile privé de l'entreprise Renault. Lors de son procès, Tramonie justifieraz son geste en invoquant la notion de « guerre ». Il sera lui-même tué le 23 mars 1977 par les Noyaux armés pour l'autonomie populaire - composés entre autres d’anciens militants de la GP - qui adresseront le communiqué suivant à l'Agence France Presse :

    « Les Noyaux armés pour l'autonomie populaire (NAPAP) revendiquent l'exécution d'Antoine Tramoni qui a été tué à 19 heures de cinq balles de calibre 11,43. Il y a cinq ans, Tramoni, flic privé de Renault, assassinait l'ouvrier révolutionnaire Pierre Overney. Tramoni est resté le symbole de la terreur patronale impunie. Alors que les organisations dites révolutionnaires ont été incapables de tenir le serment de venger Pierrot... nous montrons aujourd'hui que naissent de nouvelles forces révolutionnaires décidées à accorder leurs actes à leurs paroles et à ne rien laisser impuni. »

    Le 4 mars 1972, ce sont 200 000 personnes qui suivront, à travers Paris, le cercueil de Pierre Overney  porté à dos d’hommes.

    Tramoni sera condamné à 4 ans de prison.

    De ces combats et de ces impasses, il reste la mort d'un militant ouvrier.

    > La Gauche prolétarienne infiltrée - rendez-vous avec X France-Inter
    > La Cause du Peuple -Photos de l'assassinat de notre camarade Pierre Overney (format PDF)
    > Michel Puech -2012 / 40 ans après Pierre Overney

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    Jean-Antoine Tramoni (au centre), vigile aux usines Renault, va tirer sur l'ouvrier maoïste Pierre Overney (à gauche, de dos). Christophe Schimmel, 18 ans à l'époque, photographie la scène. (Christophe Schimmel / AFP)


    Interview intégrale de David Défendi pour Rue89 par rue89

    " Auteur de " L'arme à gauche Secrets d'État". Comment les services secrets français ont infiltré la Gauche prolétarienne des Benny Levy et Jean-Paul Sartre, Olivier Rolin, Serge July et André Glucksmann après les événements de Mai 68.

    Un document inédit sur la vie de deux agents de la DST pris dans les soubresauts de la révolte. Meurtre de CRS, faux attentats avant les élections, manipulation de l'extrême gauche, renaissance de l'antisémitisme, les coulisses sombres de la Ve République. " ( Flammarion)

     

  • Le gouvernement temporel des papes est la honte de l’humanité

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    IRLANDE
    IMPOSSIBLE D’AVORTER MÊME EN CAS DE VIOL, DE MALFORMATION DU FŒTUS

    Amnesty International

    14 ans.
    C'est la peine de prison encourue par les femmes qui avortent illégalement en Irlande, ou par toute personne qui aiderait une femme à avorter.

    24 jours
    C'est le nombre de jours pendant lesquels une femme en état de mort cérébrale a été maintenue artificiellement en vie en décembre 2014, contre la volonté de sa famille, parce que le cœur de son fœtus battait encore.

    1 500 euros
    C'est le coût moyen estimé d'un avortement à l'étranger.

    4 000 euros
    C'est le montant de l'amende que risque un professionnel de la santé s'il aiguille une femme vers un avortement ou s'il lui donne des informations exhaustives sur la procédure à suivre.

    177 000
    C'est le nombre de femmes et de jeunes filles vivant en Irlande qui se sont rendues en Angleterre ou au Pays de Galles pour se faire avorter depuis 1971. En 2013, elles sont au moins 3 679 à être allées à l'étranger pour y subir une interruption de grossesse.

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    Le rapport d'Amnesty International, Ce n'est pas une criminelle. La loi sur l'avortement en Irlande et ses conséquences, relate des cas choquants dans lesquels les autorités irlandaises ont privé des femmes et des jeunes filles des soins médicaux dont elles avaient besoin pour donner la priorité à la vie du fœtus – qui est protégée par un amendement ajouté à la Constitution irlandaise en 1983. 

    Pétition
    Modifions la loi sur l'avortement en Irlande

    > Rapport Amnesty "Ce n'est pas une criminelle, La loi sur l'avortement en Irlande et ses conséquences,"
    http://www.amnesty.be/doc/IMG/pdf/rapport_irlande_20150609_1_.pdf

    *

    L'ingérence de l’Église : une longue tradition

    "Sans doute la papauté avait aspiré de tout temps à la domination universelle et médité de suspendre la terre à l’anneau du Pêcheur."

    Anatole France

    Le Parti noir

    Un texte d'Anatole France, au temps de l'Affaire Dreyfus (1897), dans une république où s'exprimait avec force et en toute inpunité l'antisémitisme traditionnel de la droite et où montaient aux créneaux les dévots d'une Eglise remontée contre la Gueuse et sa laïcité.

    «  Gardez-vous de lui rien céder : elle ne vous cédera rien. Elle médite cette fois, non plus de faire concourir le pouvoir laïque à ses desseins et à sa gloire, mais de l’anéantir pour son infidélité. Elle prend votre place, elle se substitue à vous. Le gouvernement temporel des papes, qui était la honte de l’humanité, votre Église travaille ouvertement à l’établir chez vous ; elle veut faire de la France une province des États pontificaux.  Elle a déjà dressé sur la butte Montmartre le Saint-Pierre de la Rome nouvelle. Entre elle et vous, il n’y a pas d’alliance possible. Mais, pour vous défendre contre elle, vous possédez une force que les gouvernements monarchiques n’avaient pas : le sentiment populaire, force immense à laquelle rien ne résiste dans une démocratie. Le peuple est avec vous. Demandez-lui des armes. Il vous en donnera.»

    Dans le silence d’un gouvernement dupe ou complice...

    3992716853.pngLa crédulité des foules est infinie. Séduit et furieux, le peuple, par masses énormes, se précipitait dans le piège des antisémites. Et les chefs de l’opinion républicaine, en trop grand nombre, l’y suivaient tristement. La législature s’achevait avec une sourde inquiétude, dans le silence d’un gouvernement dupe ou complice du parti noir et parmi lequel les nationalistes avaient pris des otages. Les élections générales approchant, les moines se découvrirent. Non qu’ils perdissent patience. La patience n’échappe jamais aux religieux. Mais ils rejetèrent toute prudence comme un bagage embarrassant et se lancèrent furieusement dans la lutte politique. Toute la milice romaine donna. Les congrégations non autorisées, se sentant les plus libres, agirent le plus audacieusement. Leur action était préparée de longue main. On retrouve dans toutes les choses ecclésiastiques la constance et la suite. Pour conquérir la domination temporelle en France, l’Église préférait, depuis quelques années, les corps francs, les congrégations non reconnues. Et la multitude de celles-ci augmentait sans cesse dans la France envahie.

    En cette occasion, on revit ces vieux ennemis des puissances séculières, ces Petits Pères partout supprimés et partout répandus, les jésuites, dont l’avocat Pasquier disait, au temps d’Henri IV, qu’ils ne tendaient qu’à la désolation de l’État, les jésuites, « premiers boute-feux » de nos troubles. Qu’ils aient dirigé les entreprises des antisémites, au début de l’Affaire, ce n’est guère douteux. On les surprend ensuite nouant des intrigues dans les bureaux de la guerre pour sauver ces désespérés qui suaient le sang à étouffer la vérité. Aussi bien les jésuites y avaient-ils un intérêt sacré. Ils comptaient sur l’Affaire pour réparer le crime de l’Assemblée constituante, et fondaient cette espérance sur la trahison d’un juif qu’elle déterminerait la France indignée et épouvantée à retirer les droits civils aux juifs et aux protestants et à rétablir ainsi dans ses lois l’unité d’obédience au profit des catholiques romains. Il semble qu’ils aient pris moins de soin qu’à l’ordinaire de se cacher. C’est peut-être que le Père Du Lac se montra peu capable de dissimulation, ou bien qu’ils se croyaient trop sûrs de réussir, ayant, pour cette fois, dans leurs intérêts leurs ennemis eux-mêmes, une foules de libres-penseurs et de républicains.

    L’ordre de saint Dominique, institué pour combattre l’hérésie, se retrouva fidèle à samission première. Ses prédicateurs tonnèrent avec un éclat formidable, et non toutefois sans précaution. Ils commençaient à être contents de la République et ils attendaient de grands biens du ministère Méline : Un frère prêcheur, le Père Maumus, le dit expressément dans son livre sur Les Catholiques et les Libertés politiques : « La politique du cabinet sera, si elle triomphe, infiniment plus avantageuse à l’Église que ne le serait un retour à l’ancien régime. »

    Anatole France Le Parti noir

  • La guerre d'Algérie et les silences du Panthéon

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    3992716853.png …Je n’ai pas « choisi » les gens à sauver : j’ai sauvé délibérément tous ceux que j’ai pu, Algériens et Français de toutes opinions. Je n’ai ni cherché ni (certes) désiré les périls représentés par l’entreprise qui me fut proposée en juillet 1957: exactement, c’est l’entreprise qui est venue me tirer par la main. « Il se trouve» que j’ai connu le peuple algérien et que je l’aime ; «il se trouve » que ses souffrances, je les ai vues, avec mes propres yeux, et «il se trouve » qu’elles correspondaient en moi à des blessures ; «il se trouve», enfin, que mon attachement à notre pays a été, lui aussi, renforcé par des années de passion. C’est parce que toutes ces cordes tiraient en même temps, et qu’aucune n’a cassé, que je n’ai ni rompu avec la justice pour l’amour de la France, ni rompu avec la France pour l’amour de la justice."

    G. Tillion, Lettre ouverte à Simone de Beauvoir, 1964-
    A la recherche du vrai et du juste
    , p.259.

    5_decembre_-germaine_tillion_a_dos_de_mule_entre_tagoust_et_menaa_dans_laures_algerie_mars_1935c_association_germaine_tillion_detail705x352web.jpg&sa=X&ei=U-ptVan-B8HEUuLsgbgH&ved=0CAkQ8wc&usg=AFQjCNHdyyK2XOH3u-zMgrb7H4Zxjqzv7w

    Germaine Tillion est entré au Panthéon. Cette résistante au régime de Vichy et au fascisme, fonda le réseau du Musée de l’homme, un des premiers réseaux de la Résistance intérieure, où gravitaient également Pierre Brossolette et Geneviève De Gaulle-Anthonioz.

    C’est en organisant, avec le réseau Gloria SMH, l’évasion de Pierre de Vomécourt que Germaine Tillion fut arrêté par les Allemands. Accusée de cinq chefs d’inculpation punis de mort, elle fut déportée en Allemagne au camp des femmes de Ravensbrück sous le régime N.N. (Nacht und Nebel - Nuit et brouillard), c’est-à-dire condamnée à être exterminée.

    3992716853.png Si j’ai survécu » écrit-elle dans  Ravensbrück, " je le dois à coup sûr au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin, à la coalition de l’amitié." " Le groupe donnait à chacun une infime protection (manger son pain sans qu’on vous l’arrache, retrouver la nuit le même coin de grabat), mais il donnait aussi une sollicitude amicale indispensable à la survie. Sans elle, il ne restait que le désespoir, c’est-à-dire la mort."

    En 1950, elle contribua avec  David Rousset, Alfred Balachowsky et  Louis Martin-Chauffier  à la création de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire, qui dénonçait l’existence des goulags staliniens en URSS.

    Au lendemain des premiers attentats de novembre 1954,  en Algérie, elle est missionnée par le gouvernement français pour observer le sort fait à la population civile des Aurès qu'elle avait rencontrée en 1934 lors de sa première mission ethnographique. Les bouleversements économiques survenus chez les paysans Chaouïa entraîne alors une misère qui les pousse vers la périphérie des villes et qui les clochardise.

    3992716853.png La clochardisation, c’est le passage sans armure de la condition paysanne (c’est à dire naturelle) à la condition citadine (c’est-à-dire moderne). J’appelle « armure » une instruction primaire ouvrant sur un métier. En 1955, en Algérie, j’ai rêvé de donner une armure à tous les enfants, filles et garçons." (La traversée du mal, p.97)

    Convaincue de la nécessité de l’instruction pour combattre cette extrême misère elle élabora sous le couvert du Gouverneur général, Jacques Soustelle, un plan d’éducation populaire.  En 1955, les Centres sociaux éducatifs - qui fonctionneront jusqu'en 1962 -, furent ouverts pour les ruraux musulmans algériens déplacés. Le 15 mars 1962, un commando delta de l'O.A.S. assassinera six de ses inspecteurs.

    3992716853.png Ils étaient six, Algériens et Français mêlés. Tous inspecteurs de l’éducation nationale, réunis le 15 mars 1962, trois jours avant la signature des accords d’Evian, à Château-Royal dans le quartier d’El Biar, près d’Alger. Parmi eux, Max Marchand, leur responsable, un Normand passionné d’Algérie, et Mouloud Feraoun, l’écrivain kabyle. Ils dirigent des centres sociaux lancés en 1955 par Germaine Tillion, où l’on crut jusqu’au bout à l’alphabétisation et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes pour apprendre, enfin, à vivre ensemble un peu moins mal. Un commando Delta de tueurs de l’OAS, commandé semble-t-il par l’ex-lieutenant Degueldre, les déchiqueta à l’arme automatique, ce jour-là, comme des chiens, dos au mur, pour qu’un dernier espoir s’éteigne. " (Jean-Pierre Rioux)

    Germaine Tillion a dénoncé la torture en Algérie, vite devenue un crime à grande échelle, et s'est efforcée d’empêcher les exécutions capitales comme les attentats aveugles contre la population civile:

    3992716853.png C’est en janvier 1957 que la guerre d’Algérie prend un tournant irréversible, lorsque Robert Lacoste confie tous les pouvoirs de police à l’armée. Tournant dramatique car à partir de ce moment-là, de Paris, la République française, va cesser d’être obéie en Algérie. Il est vrai que ce que l’on voyait le plus, à Alger, à Oran, Constantine, c’étaient des Français terrifiés, pauvres, éloquents, très semblables aux jeunes soldats qui venaient les défendre. Les Algériens " d’avant 1830 ", ils étaient ailleurs, pas aussi évidents. Le 13 mai 1958 ne sera qu’un épisode de cette dissidence qui s’amorce dès les premiers attentats urbains. Dès lors tout va dégénérer. Et particulièrement avec la torture qui est censée protéger les citadins des attentats. 

    Ce que nous avions stigmatisé quelques années auparavant chez les nazis, la France libérale, démocratique, socialiste l’applique à son tour et à sa manière. La preuve qu’aucun peuple n’est à l’abri d’une infection par ce mal absolu.

    Je suis alertée à Paris sur la torture dès février 1957 : plusieurs enseignants des Centres sociaux venaient d’être arrêtés et torturés sans qu’on puisse prouver leur responsabilité dans un délit quelconque. J’ai fait pour eux ce que j’ai pu et, avec quelques camarades survivants de la Résistance française, nous avons demandé à la Commission internationale qui avait enquêté sur les crimes de Staline de venir cette fois enquêter en France. Ce qu’elle a fait. Il s’agit de la commission créée par David Rousset : CICRC (Commission internationale contre le régime concentrationnaire)." (G. Tillion)

    Durant la guerre d'Algérie, Germaine Tillion est intervenue en faveur de membres du FLN ou de l’OAS. 

    3992716853.png  En juillet 1957, en pleine "Bataille d’Alger", elle favorise le premier contact entre les dirigeants du FLN (ce qui lui sera beaucoup reproché) et le gouvernement français qu’elle racontera dans Les Ennemis complémentaires. Dans ce livre, on trouve le récit des rencontres tumultueuses avec Yacef Saâdi, les dénonciations virulentes de la torture, les plaidoyers contre la peine de mort, une correspondance abondante avec le général de Gaulle après 1958, des interventions pour faire libérer de prison aussi bien des anciens « porteurs de valises » du FLN que des anciens membres de l’OAS. Elle rejette le terrorisme aveugle dirigé contre les civils européens, et exprime dans le même temps sa préférence pour une solution politique permettant de sortir du système colonial. (B.Stora)

    Parce qu’elle avait activement participé à l’élaboration du Programme du Conseil national de la Résistance, Germaine Tillion fut, notamment avec Raymond et Lucie Aubrac, signataire de l’Appel des Résistants aux jeunes générations  du 8 mars 2004.

     

    > Site consacré à Germaine Tillions http://www.germaine-tillion.org/

    > Un texte inédit de l’ethnologue Germaine Tillion : Vivre pour comprendre - Monde Diplo

    > Quand le Musée de l'homme inventait la Résistance  Jean-Marie Pottier / Slate

    > Lettre de Germaine Tillion au tribunal allemand  / Huffington post

    > Germaine Tillion et la guerre d'Algérie - LDH Toulon

    > l’Appel des Résistants aux jeunes générations - 8 mars 2004.

    > Germaine Tillion, une femme combattante, Benjamin Stora.

     

     En ces temps-là...François Mitterrand

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    3992716853.png Le manque de volonté politique des gouvernements français successifs de traduire en justice les responsables de ces crimes a contribué a présenter la torture, les exécutions sommaires et les "disparitions" comme des maux nécessaires. La lutte contre l'impunité constitue la pierre d'angle de l'éradication de la torture et des crimes contre l'humanité."

    Amnesty international

    Pendant les trois premières années de la guerre d’Algérie, de  1954 à 1957, François Mitterrand fut ministre de l’Intérieur puis ministre de la Justice. 

    3992716853.png A 39 ans, il prend ses fonctions de ministre de la Justice, le 2 février 1956, dans le gouvernement de Guy Mollet. C'est un homme politique confirmé, qui a déjà assumé sept portefeuilles ministériels depuis la fin de la guerre. Il connaît bien le problème algérien, puisqu'il était ministre de l'Intérieur quand l'insurrection a éclaté, quinze mois plus tôt, le 1er novembre 1954. Sa réaction d'alors est connue : « L'Algérie, c'est la France [...] ceux qui veulent l'en dissocier seront partout combattus et châtiés " (François Malye)

    A l'époque, pour la majeure partie de la classe politique, il n'était pas question d'envisager l'indépendance de l'Algérie. Quant à  La gauche traditionnelle, elle se refusait de prendre en  compte le nationalisme algérien et la question coloniale.

    Dès le 8 mai 1945, l'armée française avait massacré des milliers d'Algériens dans les régions de Sétif, Guelma et  Kherrata.

    3992716853.png Les forces politiques issues de la Résistance se laissent investir par le parti colonial. « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable », avait averti le général Duval, maître d’œuvre de la répression.

    Le PCF – qui a qualifié les chefs nationalistes de « provocateurs à gages hitlériens » et demandé que « les meneurs soient passés par les armes » – sera, malgré son revirement ultérieur et sa lutte pour l’amnistie, considéré comme favorable à la colonisation.

    En Algérie, après la dissolution des AML le 14 mai, les autonomistes et les oulémas accusent le PPA d’avoir joué les apprentis sorciers et mettent fin à l’union du camp nationaliste. Les activistes du PPA imposent à leurs dirigeants la création d’une organisation paramilitaire à l’échelle nationale. Le 1er novembre 1954, on les retrouvera à la tête d’un Front de libération nationale. La guerre d'Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945." (Mohammed Harbi)

    Face à l'insurrection, le gouvernement Mendès France choisit la politique de la répression. Lors d'un bref voyage d'inspection dans les Aurès (27-30 novembre 1954), François Mitterrand, en sa qualité de ministre de l'Intérieur, s'en fait le porte-parole.

    3992716853.png (...) Il faut que les populations comprennent qu'elles doivent nous aider, ou bien qu'elles s'exposent par la force des choses et malgré notre volonté à souffrir davantage de la situation présente. Sans le concours des populations rien n'est tout à fait possible, sans aucun doute, mais les premières victimes si elles n'agissent pas dans ce sens, ce sera (sic) elles. Et comme notre devoir est de les en prévenir, nous ne manquerons pas une occasion de le faire. Nous ne frapperons donc pas d'une manière collective, nous éviterons tout ce qui pourrait apparaître comme une sorte d'état de guerre, nous ne le voulons pas. Mais nous châtierons d'une manière implacable, sans autre souci que celui de la justice, et dans la circonstance, la justice exige de la rigueur, les responsables. Et tous ceux qui seront surpris agissant d'une façon évidente par le moyen des armes contre l'ordre doivent savoir que le risque pour eux est immense, dans leur vie, dans leurs biens et, si nous le regrettons puisque ce sont nos concitoyens, ils sont soumis, comme tout criminel, à la loi ; et la loi sera appliquée. Voilà ce que je vous dis, au nom du gouvernement." Extrait de l'allocution de F. Mitterrand dans les Aurès

     

    Au nom de la lutte contre la “subversion”, le droit de la guerre n'était pas appliquer en Algérie et les nationalistes n'étaient  pas considérer comme des combattants.

    3992716853.png Le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans instruction préalable. Pourtant avocat de formation, François Mitterrand accepte d’endosser ce texte terrible : " En Algérie, les autorités compétentes pourront [...] ordonner la traduction directe, sans instruction préalable, devant un tribunal permanent des forces armées des individus pris en flagrant délit de participation à une action contre les personnes ou les biens [...] si ces infractions sont susceptibles d’entraîner la peine capitale lorsqu’elles auront été commises. " (Source LDH)

    Plus de 1 500 condamnations à mort furent prononcées par la justice française. Entre 1956 et 1962,  222 militants du FLN furent exécutés  le plus souvent au terme d’une parodie de justice au regard de la légalité républicaine.

    3992716853.png (...) L’Histoire nous a enseigné que le système colonial n’exécutait pas les responsables politiques après jugement. On préférait, comme pour Ben M’Hidi, s’en débarrasser avant en les assassinant. Dans la réalité, ce sont surtout des pauvres bougres qu’on a guillotinés. Pour l’exemple, pour faire peur. " (Abdelkader Guerroudj, militant du parti communiste algérien, condamné à mort puis gracié)

    Victime parmi d'autres, Fernand Iveton, ouvrier, communiste, rallié au FLN et guillotiné pour l'exemple à Alger en 1957.

    3992716853.png En novembre 1956, il avait décidé de procéder au sabotage d'un tuyau dans l'usine à gaz où il travaillait, au moyen d'une bombe. Des précautions avaient été prises pour que l'explosion n'occasionne pas de victime mais uniquement des dégâts matériels. Arrêté le 14 novembre 1956, avant même qu'il ait pu installer la bombe, il fut d'abord torturé par des policiers, comme cela était alors la règle: décharges électriques sur le corps, supplice de l'eau."  (Libération)

    Des années plus tard Mitterrand  avouera : "J’ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là." Ses biographes insistent pour dire qu’il tenta  de sauver des condamnés à mort, ce que démentent les avis défavorables contenus dans les dossiers et autres archives.  Sylvie Thénault, dans son livre "Une drôle de justice", note que : " son désaccord avec les exécutions est loin de s’exprimer ou d’apparaître dans les documents d’époque. "

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    Entretien  de Philippe Robichon avec François Malyle - 1h

    > Les guillotinés de Mitterrand.  François Malye avec Philippe Houdart) / Le Point - 31/08/2001
     
    > La guerre d’Algérie a commencé à Sétif, Mohammed Harbi, Le Monde diplo
     
    > L'affaire Iveton, un silence français. Jean-Luc Einaudi, historien / Libération
     
    > Sharon Elbaz, « Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les Magistrats dans la Guerre d’Algérie », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 85 | 2001 - http://chrhc.revues.org/1762

    > Mitterrand et la guerre d'Algérie : "La force du côté de la France " -  Par Etienne Manchette Rue 89, vidéos de l'INA

    Allocution de Monsieur Mitterrand et interview du Caïd de M'Chounèche - Jalons INA

  • Le pot de chambre, forme idéale du cerveau...

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    Luc Mathieu, journaliste du quotidien Libération, ainsi que Cécile Allegra et Delphine Deloget, auteures d'un reportage sur le trafic d'êtres humains dont sont victimes des Erythréens,  ont remporté le prix Albert-Londres 2015.

    Albert Londres - Chez les fous

    En 1925, paraît l’enquête du grand journaliste Albert Londres : Chez les fous.

    " Il se doute qu’en ces esprits emmurés, l’inaudible peut être entendu. Il va mesurer le mensonge de la société française dans la maison des fous. Son obsession : l’enfermement. À peine a-t-il dénoncé le bagne et les pénitenciers, qu’il court, cette fois, le risque de perdre des lecteurs maintenant nombreux à suivre ses chroniques. Toujours très attendues, il les envoie par mille combines depuis le monde entier. Ce sera en France qu’il enquêtera. Point de problème de télégraphe. La plume et la poste suffiront. Le sujet n’intéresse pas ? Il l’écrira quand même ! Le directeur du journal, Le petit Parisien, connaissant son entêtement, n’a qu’un mot à dire : Allez ! C’est l’administration asilaire qui lui refuse l’entrée. La plupart des médecins aliénistes tout-puissants font de même. Une connaissance rencontrée à Salonique lui fait pénétrer l’asile. Il n’y reste pas, il doit encore aller voir ailleurs. Un nouveau tour de France, après le Tour de France à vélo qu’il vient de suivre, le conduit dans d’autres maisons. Il se rend d’abord à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, où travaille le docteur Toulouse. Ce médecin a organisé un service ouvert. Albert Londres se fait passer pour fou : « Vous êtes fou de vous croire fou, puisque vous n’êtes pas fou », lui réplique-t-on. Le voilà immergé ensuite à l’asile Saint-Georges de Bourg-en-Bresse pour voir des « ex-raisonnables ». C’est ensuite dans un quartier « d’agités » dans le Sud-Ouest qu’il se fait embaucher. Il apprend à décoder. Il observe, scrute, épie les comportements des gardiens, des médecins et des pensionnaires. Il interroge. Puis s’en va dans le Midi et découvre que l’asile est une geôle pour tous, y compris pour les personnes qu’on tient éloignées de leur famille sans aucun motif médical. Le docteur Dide, à l’asile Braqueville, lui ouvre les perspectives d’une psychiatrie humaine : la maladie n’est pas un crime. "   Denis Poizat - Chez les fous, hommage à Albert Londres.

    L'armoire aux cerveaux

    Albert Londres, Chez les fous

    3992716853.png Un après-midi, le docteur Dide me dit :

    – Venez voir mon laboratoire.

    Les travaux de ce savant sont célèbres par le monde.

    Au moyen d’une machine perfectionnée, il coupe les cerveaux en tranches minces comme l’on fait du jambon de Parme dans les boutiques italiennes d’alimentation. Il examine ensuite la chose au microscope. De là sortira peut-être la clé de la maladie mystérieuse. Du moins espérons-le.

    Je me promenais donc, respectueusement, dans ce temple de l’avenir, quand, soudain, je tombai en arrêt devant un réduit imprévu. Cent vingt pots de chambre, chacun dans un joli petit casier, ornaient seuls les murs de ce lieu. Aux anses pendaient des étiquettes portant noms d’hommes et de femmes et, en dessous : D. P. (démence précoce). Délire progressif. Confusion mentale, psychoses symptomatiques, lésions circonscrites ; P. G. marche rapide. Épilepsie. Idiotie.

    Ces pots de chambre aussi correctement présentés avaient dans leur air quelque chose de fascinateur.

    – C’est mon armoire à cerveaux, fit Dide.

    Il tira un pot par l’anse : un cerveau nageait dans un liquide serein. Regardant l’étiquette, le savant me dit :

    – C’est Mme Boivin.– 59 –
    – Enchanté !

    Je demeurais en extase devant l’armoire.

    – Parfait ! fis-je, vous avez là de beaux cerveaux, mais pourquoi dans des pots de chambre ?

    Le maître me regarda bien en face et me répondit :

    – Parce que le pot de chambre, monsieur, est la forme idéale du cerveau !"

    Chez les fous.

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     Albert LONDRES, Chez les fous, récit, 1929
    IX  l'armoire aux cerveaux -

    Ebooks - HTMLPDF | DOC-ODT

    Denis Poizat « "Chez les fous", hommage à Albert Londres », Reliance 1/2006 (no 19), p. 7-8.
    URL : www.cairn.info/revue-reliance-2006-1-page-7.htm.

  • "L’impuissance du réformisme légal en temps de crise"

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     Les racines de la social-démocratie

     

    " On peut tout trouver dans les rangs de la social-démocratie, sauf des esprits véritablement libres."

    Simone Weil (1909-1943)

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    Dans Le Libertaire du 24 juin 1937, Jean Bernier (1894-1975) dressait le portrait d'une social-démocratie  " tenue en laisse  par le grand capital " et d'un front populaire en faillite en raison de " la faiblesse incurable, l’impuissance du réformisme légal en temps de crise et de déclin capitalistes, quand la contraction du profit tend les antagonismes et pose entre les classes et le pays la question de force."

    En mai 1936,  la coalition du Front populaire avait obtenu aux élections  la majorité absolue face à la droite. Un an plus tard, le 21 juin 1937, Le Sénat refusait de lui accorder les pleins pouvoirs pour redresser une situation financière difficile. face à la réaction "légale", le gouvernement de Léon Blum démissionnait piteusement.

    En ces jours d'entrées diverses au Panthéon, dont celle de Jean Zay, ministre du front populaire assassiné par les miliciens en juin 1944 et dont la mémoire est toujours salis par les néo-fascistes, une rectification sur l'expérience de Léon Blum tellement encensée par la social-démocratie et qui, par ses faiblesses et capitulations, ouvrit grand les portes à la réaction la plus noire et capitula en rase campagne.

    "L’histoire porte à son crédit la signature des accords Matignon (congés payés, conventions collectives et semaine de 40 heures).  Il ne faut toutefois pas oublier qu’ils furent surtout obtenus grâce au mouvement des grèves avec occupation qui débuta le 26 mai dans les usines métallurgiques de la région parisienne et prit une ampleur nationale, échappant au contrôle des syndicats. Alors que les occupations d’usine se poursuivaient, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, déclarait, le 12 juin : « Il faut savoir terminer une grève. » On rappelle également beaucoup moins souvent que la Chambre élue en 1936 vota, avec le Sénat, en faveur du maréchal Pétain en 1940, par 569 voix contre 80." (Revue Agone)

     

    "La fin misérable de l’expérience Blum"

    Jean Bernier

    3992716853.png LE GRAND MINISTERE DU FRONT POPULAIRE à direction socialiste est mort comme il a vécu, comme il a de plus en plus vécu : misérablement.

    Depuis l’instauration de la « pause », depuis l’emprunt de la défense nationale, souscrit comme une aumône, et à titre d’avertissement, par ces trusts et ces banques qu’il avait juré d’abattre, le gouvernement de Front populaire vivait, ou plutôt se survivait, à la petite semaine.

    Le gouffre du déficit se creusait devant lui.

    Le Trésor criait famine. Le fonds d’égalisation des changes se vidait. Tenu en laisse par le grand capital, diminué, dérisoire, Blum se débattait dans les liens, qu’il avait lui-même noués, de la légalité bourgeoise. Pris à la gorge par l’impératif financier, il n’opposait à cette forme catégorique et toute naturelle de la coercition capitaliste que les bulletins de vote et les écharpes de députés conquis aux dernières élections législatives. Le capital en grève, le patronat revenu de sa grande peur de l’an dernier, se souciait peu de ces bruyantes mais platoniques incantations. Et les tentatives de compromis à coups d’impôts indirects sur le dos des pauvres, comme les petites habiletés parlementaires, les manœuvres byzantines et les acrobaties verbales auxquelles se livrait en virtuose ce juriste et ce bourgeois libéral, plein de ces bonnes intentions sociales dont est pavé l’enfer, n’amenaient pas dans les caisses de M. Vincent Auriol le moindre maravédis.

    Comme un quelconque ministère de cartel, comme un vulgaire Herriot, il fallait se soumettre, à fond cette fois et sans recours, ou se démettre en sauvant la face. Très constitutionnellement, très légalement, le Sénat porta l’estocade. Et cet homme harassé, qui avouait trouver « séduisante » l’idée d’un « départ volontaire », s’effondra.

    Ce qui tombe avec lui, au pied de ce mur d’argent, cimenté de tant de sang, de sueur et de larmes, ce qui tombe une fois de plus, pour renaître, jusqu’à quand ?

    C’est l’illusion parlementaire où se gâche et s’englue la force des travailleurs, c’est la faiblesse incurable, l’impuissance du réformisme légal en temps de crise et de déclin capitalistes, quand la contraction du profit tend les antagonismes et pose entre les classes et le pays la question de force. Ce que Blum paie d’une chute misérable que les chefs « socialistes », « communistes » et cégétistes ont de la peine à faire admettre à bien des militants du rang déconcertés ou révoltés par tant de lâche docilité, c’est, par une fatalité qui lui est inhérente, à lui comme à tous les politiciens libéraux, d’avoir méconnu, rayé de ses calculs et de ses moyens d’action, la force ouvrière, inconsciente mais vive, qui l’avait porté au pouvoir.

    Qu’on se rappelle juin 1936, les occupations d’usines, la vague de grèves qui dressait soudain des millions d’esclaves, enivrés de se retrouver des hommes, la panique de la grande bourgeoisie, la sympathie, voire l’enthousiasme des classes dites moyennes !

    Quelles possibilités ne s’offraient-elles pas à un gouvernement à direction vraiment socialiste, décidé à s’appuyer sur une pareille décharge d’énergie !

    À l’intérieur, une dévaluation franche, faite à froid, dans les meilleures conditions techniques. Les premières socialisations, celle, par exemple, du trust des assurances, à laquelle la grande bourgeoisie elle-même s’attendait…

    À l’extérieur, la répudiation solennelle du traité de Versailles, l’édification d’une Europe économiquement et psychologiquement viable pour des années, un désarmement substantiel et l’énorme allégement budgétaire qui en eût résulté, l’extirpation de la puissante racine du fascisme… Que d’occasions perdues, que de journées de dupes !

    Que de cortèges, de manifestations, de fêtes, de chants, de mises en scène et de serments ! Que de discours, de manifestes, d’interviews, de déclarations et de meetings pour finalement passer la main à quelque maquignon chevronné du Parlement et recommencer avec lui l’éternel petit jeu « républicain » des ministres de « gauche » à politique de « droite », des dosages, des combines et des couleuvres à faire avaler au bon peuple !

    Certes, Blum n’a pas – comme l’eût fait l’Union nationale – lancé la garde mobile contre les grévistes en juin 1936. Certes, Blum n’a pas – comme le voulaient les « communistes » –, comme l’eûrent fait peut-être Barthou ou Herriot, joué à fond le jeu funeste de Staline dans la mêlée impérialiste. Bien sûr, il a offert, momentanément, à la classe ouvrière une ligne de moindre résistance en occupant l’État bourgeois, et il n’a pas anéanti les dernières chances de paix. Mais, avec plus d’évidence encore, ne peut-on faire valoir que les mérites, passifs sinon négatifs et qui laissent planer sur nous les pires menaces de réaction et de guerre, ont bien fait les affaires du capitalisme français ?

    Blum n’a-t-il pas permis à celui-ci de contenir, puis de consolider l’offensive de ses exploités dans l’impasse du syndicalisme d’État, pour passer finalement à la contre-attaque de la vie chère et des « aménagements », en attendant la répression dans les usines et dans la rue ?

    À grand renfort de drapeaux tricolores et de Marseillaise, avec la complicité de Staline et de Jouhaux, n’a-t-il pas enfin, plus fortement que jamais, attaché les organisations ouvrières françaises au char de l’impérialisme, et n’a-t-il pas, mieux que n’importe quel nationaliste professionnel, travaillé ainsi à la formation d’une prochaine Union sacrée ?

    Non ! La chute de l’ex-chef du gouvernement de Front populaire à direction socialiste, qui consommera sans doute demain sa déchéance, en qualité de sous-chef du gouvernement de Front populaire à direction radicale, ne doit pas être déplorée par les ouvriers révolutionnaires.

    L’homme qui, la veille de sa chute, dans un ultime effort pour garder le pouvoir, se vantait devant de Sénat « d’appliquer tout son effort à modérer le sentiment du pays » n’est pas des nôtres.

    Son échec n’est qu’un échec de plus, à porter au compte de ce socialisme parlementaire, réformiste et impérialiste qui tua la révolution en Europe, de 1914 à 1920.

    Le Libertaire, 24 juin 1937

    Source : Jean Bernier, « La fin misérable de l’expérience Blum », revue Agone, 28 | 2003. URL : http://revueagone.revues.org/457.