" Cette incarnation monstrueuse de l’égoïsme, de l’hypocrisie et de la férocité, que l’imbécile vulgaire accepte sous le nom de parti de l’ordre, et qui derrière cette raison sociale abrite effrontément ses tripots, ses coupe-gorge et ses lupanars. "
André Léo
André Léo, écrivaine et féministe, participa à la Commune de Paris. Dans " La guerre sociale", un discours prononcé au Congrès de la paix de Lausanne en 1871, elle tire quelques enseignements politiques de ces évènements et y dénonce " la calomnie officielle " concernant la Commune de Paris, calomnie qui dure encore :
" Combien y a-t-il d'esprits indépendants qui se soient dit : quand les vainqueurs ont seuls la parole, quand les vaincus ne peuvent rien alléguer ni rien démentir, il est de justice et de sens commun de suspendre son jugement. "
Lors du Congrès, sa prise de parole dérangea tellement une partie du public, qu’après une première interruption le président lui interdit de continuer.
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Dans cet extrait, André Léo revient sur le crime contre l’humanité que constitua la Semaine sanglante de mai 1871 et qui s'acheva le 28 mai. C’est à l’armée de Mac Mahon que fut confiée l’exécution des basses œuvres et les massacres se poursuivront encore un mois, sans parler des déportations. Et ce fut Adolphe Thiers qui en fut le boucher en chef et représentait alors "le plus petit dénominateur commun des "centres" bourgeois, conservateurs et royalistes modérés "selon les termes de Jacques Serieys.
La liberté a repris ses chaînes ; la pensée ses menottes ; encore une fois, grâce à la peur, tout est permis à ceux qui règnent. La ville qui était la capitale du monde, et qui n’est plus même la capitale de la France, a perdu ses citoyens ; mais elle a retrouvé ses petits crevés et ses courtisanes. Tout ce qu’elle avait de sang généreux a coulé dans ses ruisseaux et a rougi – ce n’est pas une figure – les eaux de la Seine ; et pendant huit jours et huit nuits, afin que le Paris de la révolution redevint le Paris des empires, on en a fait un immense abattoir humain !
J’ai vu ces jours de sang ; j’ai entendu pendant ces nuits horribles, le bruit des feux du peloton et des mitrailleuses. J’ai reçu de nombreux témoignages ; j’ai recueilli les aveux écrits des assassins eux-mêmes, au milieu de leur joie féroce ; et jamais le sentiment d’indignation qui s’est élevé en moi ne s’apaisera ! et tant que je vivrai, partout où je pourrai être entendue, je témoignerai contre cette incarnation monstrueuse de l’égoïsme, de l’hypocrisie et de la férocité, que l’imbécile vulgaire accepte sous le nom de parti de l’ordre, et qui derrière cette raison sociale abrite effrontément ses tripots, ses coupe-gorge et ses lupanars.
Et l’on parle encore de 93 ! Et le spectre rouge, tout en loques, sert encore d’épouvantail à la volatile ! Qu’était cette terreur rouge du siècle dernier, la seule (car la démocratie n’en fait plus), qu’était-ce que cette crise fatale, qu’expliquent la famine et le danger, en comparaison de ces terreurs tricolores, dont la terreur de 71 est de beaucoup la plus épouvantable, et qui vont toujours croissant de rage et d’intensité ? Quel mois de 93 vaut cette semaine sanglante pendant laquelle 12 000 cadavres – ce sont leurs journaux qui le disent – jonchèrent le sol de Paris ? Les prisons suffisaient en 93 ; il leur faut aujourd’hui des plaines à Versailles et des pontons dans tous les ports. La terreur tricolore l’emporte de toute la supériorité de la mitrailleuse sur la guillotine ; de toute la distance qui sépare dans le mal, la préméditation et l’emportement. La guillotine, au moins, ne tuait qu’en plein jour et ne tranchait qu’une vie à la fois. Eux, ils ont tué huit jours et huit nuits d’abord ; puis la nuit seulement, pendant plus d’un mois encore. Deux personnes honorables, qui habitent deux points opposés des environs du Luxembourg, m’ont affirmé avoir encore entendu, dans la nuit du 6 juillet, les détonations lugubres.
J’ai beau faire. Je ne vois du côté de la Commune que 64 victimes – si l’on persiste à lui attribuer l’exécution des otages, qu’elle n’a pas ordonnée – et de l’autre, j’en vois, suivant le chiffre le plus bas, 15 000 – beaucoup disent 20 000 – Mais qui peut savoir le compte des morts dans une tuerie sans frein, dans un massacre sans jugement, dont toute la règle est le plus ou moins d’ivresse du soldat, le plus ou moins de fureur politique de l’officier ? Demandez aux familles qui cherchent en vain un père, un frère, un fils disparu, dont elles n’auront jamais l’extrait mortuaire.
Quand on contemple de tels faits et qu’on voit la réprobation s’attacher… à qui ? aux victimes ! on est étourdi, et l’on se demande quelle est cette plaisanterie qu’on nomme l’opinion, la conscience humaine ? Oui, ce sont les égorgeurs qui accusent ! Le monde n’est rempli que de leurs cris. Et c’est aux égorgés qu’on refuse même le droit d’asile, en alléguant la morale outragée et la sainte pudeur ! Quelle est donc cette morale ? Que signifie cette justice ? Qu’est devenu le sens des mots ? Ce monde se dit sceptique ; ce siècle se prétend incrédule ; et il croit aux larmes de Thiers ! aux indignations des Jules Favre ! à la sensibilité des bourreaux et aux serments des faussaires ! Pourquoi pas à l’honneur des Louis Bonaparte ?
Hélas ! la politique de cette malheureuse humanité ne consistera-t-elle jamais qu’en un changement de noms"
André Léo : La Guerre sociale Discours prononcé au congrès de la paix
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André Léo résumait les années 1870 et 1871 : un schéma copié depuis - avec ou sans monarchie :
La France, abandonnée à l’étranger ; les trahisons et les malversations de 1870 ; l’armistice et la paix de 1871 , la guerre civile, l’égorgement de Paris, la terreur tricolore, l’instruction publique aux prêtres, la presse aux financiers, la justice aux entremetteurs, l’armée aux assassins, l’administration aux corrompus, la politique aux Basiles, que peut faire de mieux une monarchie ? "