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Histoire - Page 9

  • 15 janvier 1850 : Victor Hugo et la liberté de l'enseignement

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    "C’est votre habitude. Quand vous forgez une chaîne, vous dites : Voici une liberté !"

    glt1.pngAh ! nous vous connaissons ! nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de service. C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. C’est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux, l’ignorance et l’erreur. C’est lui qui fait défense à la science et au génie d’aller au delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence de l’Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est écrite au verso. Il s’est opposé à tout. 

    glt1.pngTenez, franchement, je me défie de vous. Instruire, c’est construire. Je me défie de ce que vous construisez.

    Je ne veux pas vous confier l’enseignement de la jeunesse, l’âme des enfants, le développement des intelligences neuves qui s’ouvrent à la vie, l’esprit des générations nouvelles, c’est-à-dire l’avenir de la France. Je ne veux pas vous confier l’avenir de la France, parce que vous le confier, ce serait vous le livrer. (Mouvement.)

    Il ne me suffit pas que les générations nouvelles nous succèdent, j’entends qu’elles nous continuent. Voilà pourquoi je ne veux ni de votre main, ni de votre souffle sur elles. Je ne veux pas que ce qui a été fait par nos pères soit défait par vous. Après cette gloire, je ne veux pas de cette honte. (Mouvement prolongé.)

    Victor Hugo contre la loi Falloux

    IV

     

    LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT
    15 janvier 1850.

    glt1.pngMessieurs, quand une discussion est ouverte qui touche à ce qu’il y a de plus sérieux dans les destinées du pays, il faut aller tout de suite, et sans hésiter, au fond de la question.

    Je commence par dire ce que je voudrais, je dirai tout à l’heure ce que je ne veux pas.

    Messieurs, à mon sens, le but, difficile à atteindre et lointain sans doute, mais auquel il faut tendre dans cette grave question de l’enseignement, le voici. (Plus haut ! plus haut !)

    Messieurs, toute question a son idéal. Pour moi, l’idéal de cette question de l’enseignement, le voici. L’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés. (Murmures à droite. ― Applaudissements à gauche.) L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant (mouvement), qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l’état.

    Je reprends. Voici donc, selon moi, l’idéal de la question. L’instruction gratuite et obligatoire dans la mesure que je viens de marquer. Un grandiose enseignement public, donné et réglé par l’état, partant de l’école de village et montant de degré en degré jusqu’au collège de France, plus haut encore, jusqu’à l’institut de France. Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes les intelligences. Partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu’il y ait un livre. Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté. Un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d’ateliers intellectuels, lycées, gymnases, collèges, chaires, bibliothèques, mêlant leur rayonnement sur la surface du pays, éveillant partout les aptitudes et échauffant partout les vocations. En un mot, l’échelle de la connaissance humaine dressée fermement par la main de l’état, posée dans l’ombre des masses les plus profondes et les plus obscures, et aboutissant à la lumière. Aucune solution de continuité. Le cœur du peuple mis en communication avec le cerveau de la France. (Longs applaudissements.)

    Voilà comme je comprendrais l’éducation publique nationale. Messieurs, à côté de cette magnifique instruction gratuite, sollicitant les esprits de tout ordre, offerte par l’état, donnant à tous, pour rien, les meilleurs maîtres et les meilleures méthodes, modèle de science et de discipline, normale, française, chrétienne, libérale, qui élèverait, sans nul doute, le génie national à sa plus haute somme d’intensité, je placerais sans hésiter la liberté d’enseignement, la liberté d’enseignement pour les instituteurs privés, la liberté d’enseignement pour les corporations religieuses, la liberté d’enseignement pleine, entière, absolue, soumise aux lois générales comme toutes les autres libertés, et je n’aurais pas besoin de lui donner le pouvoir inquiet de l’état pour surveillant, parce que je lui donnerais l’enseignement gratuit de l’état pour contre-poids. (Bravo ! à gauche. ― Murmures à droite.)

    Ceci, messieurs, je le répète, est l’idéal de la question. Ne vous en troublez pas, nous ne sommes pas près d’y atteindre, car la solution du problème contient une question financière considérable, comme tous les problèmes sociaux du temps présent.

    Messieurs, cet idéal, il était nécessaire de l’indiquer, car il faut toujours dire où l’on tend. Il offre d’innombrables points de vue, mais l’heure n’est pas venue de le développer. Je ménage les instants de l’assemblée, et j’aborde immédiatement la question dans sa réalité positive actuelle. Je la prends où elle en est aujourd’hui au point relatif de maturité où les événements d’une part, et d’autre part la raison publique, l’ont amenée.

    À ce point de vue restreint, mais pratique, de la situation actuelle, je veux, je le déclare, la liberté de l’enseignement, mais je veux la surveillance de l’état, et comme je veux cette surveillance effective, je veux l’état laïque, purement laïque, exclusivement laïque. L’honorable M. Guizot l’a dit avant moi, en matière d’enseignement, l’état n’est pas et ne peut pas être autre chose que laïque.

    Je veux, dis-je, la liberté de l’enseignement sous la surveillance de l’état, et je n’admets, pour personnifier l’état dans cette surveillance si délicate et si difficile, qui exige le concours de toutes les forces vives du pays, que des hommes appartenant sans doute aux carrières les plus graves, mais n’ayant aucun intérêt, soit de conscience, soit de politique, distinct de l’unité nationale. C’est vous dire que je n’introduis, soit dans le conseil supérieur de surveillance, soit dans les conseils secondaires, ni évêques, ni délégués d’évêques. J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’église et de l’état qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’église comme dans l’intérêt de l’état. (Acclamation à gauche. ― Protestation à droite.)

    Je viens de vous dire ce que je voudrais. Maintenant, voici ce que je ne veux pas :

    Je ne veux pas de la loi qu’on vous apporte.
    Pourquoi ?
    Messieurs, cette loi est une arme.
    Une arme n’est rien par elle-même, elle n’existe que par la main qui la saisit.
    Or quelle est la main qui se saisira de cette loi ?
    Là est toute la question. Messieurs, c’est la main du parti clérical. (C’est vrai ! — Longue agitation.)

    Messieurs, je redoute cette main, je veux briser cette arme, je repousse ce projet.
    Cela dit, j’entre dans la discussion.

    J’aborde tout de suite, et de front, une objection qu’on fait aux opposants placés à mon point de vue, la seule objection qui ait une apparence de gravité.

    On nous dit : Vous excluez le clergé du conseil de surveillance de l’état ; vous voulez donc proscrire l’enseignement religieux ?

     Messieurs, je m’explique. Jamais on ne se méprendra, par ma faute, ni sur ce que je dis, ni sur ce que je pense.

     Loin que je veuille proscrire l’enseignement religieux, entendez-vous bien ? il est, selon moi, plus nécessaire aujourd’hui que jamais. Plus l’homme grandit, plus il doit croire. Plus il approche de Dieu, mieux il doit voir Dieu. (Mouvement.)

     Il y a un malheur dans notre temps, je dirais presque il n’y a qu’un malheur, c’est une certaine tendance à tout mettre dans cette vie. (Sensation.) En donnant à l’homme pour fin et pour but la vie terrestre et matérielle, on aggrave toutes les misères par la négation qui est au bout, on ajoute à l’accablement des malheureux le poids insupportable du néant, et de ce qui n’était que la souffrance, c’est-à-dire la loi de Dieu, on fait le désespoir, c’est-à-dire la loi de l’enfer. (Long mouvement.) De là de profondes convulsions sociales. (Oui ! oui !)

    Certes je suis de ceux qui veulent, et personne n’en doute dans cette enceinte, je suis de ceux qui veulent, je ne dis pas avec sincérité, le mot est trop faible, je veux avec une inexprimable ardeur, et par tous les moyens possibles, améliorer dans cette vie le sort matériel de ceux qui souffrent ; mais la première des améliorations, c’est de leur donner l’espérance. (Bravos à droite.) Combien s’amoindrissent nos misères finies quand il s’y mêle une espérance infinie ! (Très bien ! très bien !)

    Notre devoir à tous, qui que nous soyons, les législateurs comme les évêques, les prêtres comme les écrivains, c’est de répandre, c’est de dépenser, c’est de prodiguer, sous toutes les formes, toute l’énergie sociale pour combattre et détruire la misère (Bravo ! à gauche), et en même temps de faire lever toutes les têtes vers le ciel (Bravo ! à droite), de diriger toutes les âmes, de tourner toutes les attentes vers une vie ultérieure où justice sera faite et où justice sera rendue. Disons-le bien haut, personne n’aura injustement ni inutilement souffert. La mort est une restitution. (Très bien ! à droite. — Mouvement.) La loi du monde matériel, c’est l’équilibre ; la loi du monde moral, c’est l’équité. Dieu se retrouve à la fin de tout. Ne l’oublions pas et enseignons-le à tous, il n’y aurait aucune dignité à vivre et cela n’en vaudrait pas la peine, si nous devions mourir tout entiers. Ce qui allège le labeur, ce qui sanctifie le travail, ce qui rend l’homme fort, bon, sage, patient, bienveillant, juste, à la fois humble et grand, digne de l’intelligence, digne de la liberté, c’est d’avoir devant soi la perpétuelle vision d’un monde meilleur rayonnant à travers les ténèbres de cette vie. (Vive et unanime approbation.)

    Quant à moi, puisque le hasard veut que ce soit moi qui parle en ce moment et met de si graves paroles dans une bouche de peu d’autorité, qu’il me soit permis de le dire ici et de le déclarer, je le proclame du haut de cette tribune, j’y crois profondément, à ce monde meilleur ; il est pour moi bien plus réel que cette misérable chimère que nous dévorons et que nous appelons la vie ; il est sans cesse devant mes yeux ; j’y crois de toutes les puissances de ma conviction, et, après bien des luttes, bien des études et bien des épreuves, il est la suprême certitude de ma raison, comme il est la suprême consolation de mon âme. (Profonde sensation.)

    Je veux donc, je veux sincèrement, fermement, ardemment, l’enseignement religieux, mais je veux l’enseignement religieux de l’église et non l’enseignement religieux d’un parti. Je le veux sincère et non hypocrite. (Bravo ! bravo !) Je le veux ayant pour but le ciel et non la terre. (Mouvement.) Je ne veux pas qu’une chaire envahisse l’autre, je ne veux pas mêler le prêtre au professeur. Ou, si je consens à ce mélange, moi législateur, je le surveille, j’ouvre sur les séminaires et sur les congrégations enseignantes l’œil de l’état, et, j’y insiste, de l’état laïque, jaloux uniquement de sa grandeur et de son unité.

    Jusqu’au jour, que j’appelle de tous mes vœux, où la liberté complète de l’enseignement pourra être proclamée, et en commençant je vous ai dit à quelles conditions, jusqu’à ce jour-là, je veux l’enseignement de l’église en dedans de l’église et non au dehors. Surtout je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l’état, par le clergé l’enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’église chez elle et l’état chez lui. (Oui ! oui !)

    L’assemblée voit déjà clairement pourquoi je repousse le projet de loi ; mais j’achève de m’expliquer.

    Messieurs, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, ce projet est quelque chose de plus, de pire, si vous voulez, qu’une loi politique, c’est une loi stratégique. (Chuchotements.)

    Je m’adresse, non, certes, au vénérable évêque de Langres, non à quelque personne que ce soit dans cette enceinte, mais au parti qui a, sinon rédigé, du moins inspiré le projet de loi, à ce parti à la fois éteint et ardent, au parti clérical. Je ne sais pas s’il est dans le gouvernement, je ne sais pas s’il est dans l’assemblée (mouvement) ; mais je le sens un peu partout. (Nouveau mouvement.) Il a l’oreille fine, il m’entendra. (On rit.) Je m’adresse donc au parti clérical, et je lui dis : Cette loi est votre loi. Tenez, franchement, je me défie de vous. Instruire, c’est construire. (Sensation.) Je me défie de ce que vous construisez. (Très bien ! très bien !)

    Je ne veux pas vous confier l’enseignement de la jeunesse, l’âme des enfants, le développement des intelligences neuves qui s’ouvrent à la vie, l’esprit des générations nouvelles, c’est-à-dire l’avenir de la France. Je ne veux pas vous confier l’avenir de la France, parce que vous le confier, ce serait vous le livrer. (Mouvement.)

    Il ne me suffit pas que les générations nouvelles nous succèdent, j’entends qu’elles nous continuent. Voilà pourquoi je ne veux ni de votre main, ni de votre souffle sur elles. Je ne veux pas que ce qui a été fait par nos pères soit défait par vous. Après cette gloire, je ne veux pas de cette honte. (Mouvement prolongé.)

    Votre loi est une loi qui a un masque. (Bravo !)

    Elle dit une chose et elle en ferait une autre. C’est une pensée d’asservissement qui prend les allures de la liberté. C’est une confiscation intitulée donation. Je n’en veux pas. (Applaudissements à gauche.)

    C’est votre habitude. Quand vous forgez une chaîne, vous dites : Voici une liberté ! Quand vous faites une proscription, vous criez : Voilà une amnistie ! (Nouveaux applaudissements.)

    Ah ! je ne vous confonds pas avec l’église, pas plus que je ne confonds le gui avec le chêne. Vous êtes les parasites de l’église, vous êtes la maladie de l’église. (On rit.) Ignace est l’ennemi de Jésus. (Vive approbation à gauche.) Vous êtes, non les croyants, mais les sectaires d’une religion que vous ne comprenez pas. Vous êtes les metteurs en scène de la sainteté. Ne mêlez pas l’église à vos affaires, à vos combinaisons, à vos stratégies, à vos doctrines, à vos ambitions. Ne l’appelez pas votre mère pour en faire votre servante. (Profonde sensation.) Ne la tourmentez pas sous le prétexte de lui apprendre la politique. Surtout ne l’identifiez pas avec vous. Voyez le tort que vous lui faites. M. l’évêque de Langres vous l’a dit. (On rit.)

    Voyez comme elle dépérit depuis qu’elle vous a ! Vous vous faites si peu aimer que vous finiriez par la faire haïr ! En vérité, je vous le dis (on rit), elle se passera fort bien de vous. Laissez-la en repos. Quand vous n’y serez plus, on y reviendra. Laissez-la, cette vénérable église, cette vénérable mère, dans sa solitude, dans son abnégation, dans son humilité. Tout cela compose sa grandeur ! Sa solitude lui attirera la foule, son abnégation est sa puissance, son humilité est sa majesté. (Vive adhésion.)

    Vous parlez d’enseignement religieux ! Savez-vous quel est le véritable enseignement religieux, celui devant lequel il faut se prosterner, celui qu’il ne faut pas troubler ? C’est la sœur de charité au chevet du mourant. C’est le frère de la Merci rachetant l’esclave. C’est Vincent de Paul ramassant l’enfant trouvé. C’est l’évêque de Marseille au milieu des pestiférés. C’est l’archevêque de Paris abordant avec un sourire ce formidable faubourg Saint-Antoine, levant son crucifix au-dessus de la guerre civile, et s’inquiétant peu de recevoir la mort, pourvu qu’il apporte la paix. (Bravo !) Voilà le véritable enseignement religieux, l’enseignement religieux réel, profond, efficace et populaire, celui qui, heureusement pour la religion et l’humanité, fait encore plus de chrétiens que vous n’en défaites ! (Longs applaudissements à gauche.)

    Ah ! nous vous connaissons ! nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de service. (On rit.) C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. (On rit.) C’est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux, l’ignorance et l’erreur. C’est lui qui fait défense à la science et au génie d’aller au delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence de l’Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est écrite au verso. (Sensation.) Il s’est opposé à tout. (On rit.)

    C’est lui qui a fait battre de verges Prinelli pour avoir dit que les étoiles ne tomberaient pas. C’est lui qui a appliqué Campanella vingt-sept fois à la question pour avoir affirmé que le nombre des mondes était infini et entrevu le secret de la création. C’est lui qui a persécuté Harvey pour avoir prouvé que le sang circulait. De par Josué, il a enfermé Galilée ; de par saint Paul, il a emprisonné Christophe Colomb. (Sensation.) Découvrir la loi du ciel, c’était une impiété ; trouver un monde, c’était une hérésie. C’est lui qui a anathématisé Pascal au nom de la religion, Montaigne au nom de la morale, Molière au nom de la morale et de la religion. Oh ! oui, certes, qui que vous soyez, qui vous appelez le parti catholique et qui êtes le parti clérical, nous vous connaissons. Voilà longtemps déjà que la conscience humaine se révolte contre vous et vous demande : Qu’est-ce que vous me voulez ? Voilà longtemps déjà que vous essayez de mettre un bâillon à l’esprit humain. (Acclamations à gauche.)

    Et vous voulez être les maîtres de l’enseignement ! Et il n’y a pas un poëte, pas un écrivain, pas un philosophe, pas un penseur, que vous acceptiez ! Et tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par les génies, le trésor de la civilisation, l’héritage séculaire des générations, le patrimoine commun des intelligences, vous le rejetez ! Si le cerveau de l’humanité était là devant vos yeux, à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, vous y feriez des ratures ! (Oui ! oui !) Convenez-en ! (Mouvement prolongé.)

    Enfin, il y a un livre, un livre qui semble d’un bout à l’autre une émanation supérieure, un livre qui est pour l’univers ce que le koran est pour l’islamisme, ce que les védas sont pour l’Inde, un livre qui contient toute la sagesse humaine éclairée par toute la sagesse divine, un livre que la vénération des peuples appelle le Livre, la Bible ! Eh bien ! votre censure a monté jusque-là ! Chose inouïe ! des papes ont proscrit la Bible ! Quel étonnement pour les esprits sages, quelle épouvante pour les cœurs simples, de voir l’index de Rome posé sur le livre de Dieu ! (Vive adhésion à gauche.)

    Et vous réclamez la liberté d’enseigner ! Tenez, soyons sincères, entendons-nous sur la liberté que vous réclamez ; c’est la liberté de ne pas enseigner. (Applaudissements à gauche. ― Vives réclamations à droite.)

    Ah ! vous voulez qu’on vous donne des peuples à instruire ! Fort bien. ― Voyons vos élèves. Voyons vos produits. (On rit.) Qu’est-ce que vous avez fait de l’Italie ? Qu’est-ce que vous avez fait de l’Espagne ? Depuis des siècles vous tenez dans vos mains, à votre discrétion, à votre école, sous votre férule, ces deux grandes nations, illustres parmi les plus illustres ; qu’en avez-vous fait ? (Mouvement.)

    Je vais vous le dire. Grâce à vous, l’Italie, dont aucun homme qui pense ne peut plus prononcer le nom qu’avec une inexprimable douleur filiale, l’Italie, cette mère des génies et des nations, qui a répandu sur l’univers toutes les plus éblouissantes merveilles de la poésie et des arts, l’Italie, qui a appris à lire au genre humain, l’Italie aujourd’hui ne sait pas lire ! (Profonde sensation.)

    Oui, l’Italie est de tous les états de l’Europe celui où il y a le moins de natifs sachant lire ! (Réclamations à droite. — Cris violents.)

    L’Espagne, magnifiquement dotée, l’Espagne, qui avait reçu des romains sa première civilisation, des arabes sa seconde civilisation, de la providence, et malgré vous, un monde, l’Amérique ; l’Espagne a perdu, grâce à vous, grâce à votre joug d’abrutissement, qui est un joug de dégradation et d’amoindrissement (applaudissements à gauche), l’Espagne a perdu ce secret de la puissance qu’elle tenait des romains, ce génie des arts qu’elle tenait des arabes, ce monde qu’elle tenait de Dieu, et, en échange de tout ce que vous lui avez fait perdre, elle a reçu de vous l’inquisition. (Mouvement.)

    L’inquisition, que certains hommes du parti essayent aujourd’hui de réhabiliter avec une timidité pudique dont je les honore. (Longue hilarité à gauche. — Réclamations à droite.) L’inquisition, qui a brûlé sur le bûcher ou étouffé dans les cachots cinq millions d’hommes ! (Dénégations à droite.) Lisez l’histoire ! L’inquisition, qui exhumait les morts pour les brûler comme hérétiques (C’est vrai !), témoin Urgel et Arnault, comte de Forcalquier. L’inquisition, qui déclarait les enfants des hérétiques, jusqu’à la deuxième génération, infâmes et incapables d’aucuns honneurs publics, en exceptant seulement, ce sont les propres termes des arrêts, ceux qui auraient dénoncé leur père ! (Long mouvement.) L’inquisition, qui, à l’heure où je parle, tient encore dans la bibliothèque vaticane les manuscrits de Galilée clos et scellés sous le scellé de l’index ! (Agitation.) Il est vrai que, pour consoler l’Espagne de ce que vous lui ôtiez et de ce que vous lui donniez, vous l’avez surnommée la Catholique ! (Rumeurs à droite.)

    Ah ! savez-vous ? vous avez arraché à l’un de ses plus grands hommes ce cri douloureux qui vous accuse : « J’aime mieux qu’elle soit la Grande que la Catholique ! » (Cris à droite. Longue interruption. — Plusieurs membres interpellent violemment l’orateur.)

    Voilà vos chefs-d’œuvre ! Ce foyer qu’on appelait l’Italie, vous l’avez éteint. Ce colosse qu’on appelait l’Espagne, vous l’avez miné. L’une est en cendres, l’autre est en ruine. Voilà ce que vous avez fait de deux grands peuples. Qu’est-ce que vous voulez faire de la France ? (Mouvement prolongé.)

    Tenez, vous venez de Rome ; je vous fais compliment. Vous avez eu là un beau succès. (Rires et bravos à gauche.) Vous venez de bâillonner le peuple romain ; maintenant vous voulez bâillonner le peuple français. Je comprends, cela est encore plus beau, cela tente. Seulement, prenez garde ! c’est malaisé. Celui-ci est un lion tout à fait vivant. (Agitation.)

    À qui en voulez-vous donc ? Je vais vous le dire. Vous en voulez à la raison humaine. Pourquoi ? Parce qu’elle fait le jour. (Oui ! oui ! Non ! non !)

    Oui, voulez-vous que je vous dise ce qui vous importune ? C’est cette énorme quantité de lumière libre que la France dégage depuis trois siècles, lumière toute faite de raison, lumière aujourd’hui plus éclatante que jamais, lumière qui fait de la nation française la nation éclairante, de telle sorte qu’on aperçoit la clarté de la France sur la face de tous les peuples de l’univers. (Sensation.) Eh bien, cette clarté de la France, cette lumière libre, cette lumière directe, cette lumière qui ne vient pas de Rome, qui vient de Dieu, voilà ce que vous voulez éteindre, voilà ce que nous voulons conserver ! (Oui ! oui ! — Bravos à gauche.)

    Je repousse votre loi. Je la repousse parce qu’elle confisque l’enseignement primaire, parce qu’elle dégrade l’enseignement secondaire, parce qu’elle abaisse le niveau de la science, parce qu’elle diminue mon pays. (Sensation.)

     Je la repousse, parce que je suis de ceux qui ont un serrement de cœur et la rougeur au front toutes les fois que la France subit, pour une cause quelconque, une diminution, que ce soit une diminution de territoire, comme par les traités de 1815, ou une diminution de grandeur intellectuelle, comme par votre loi ! (Vifs applaudissements à gauche.)

    Messieurs, avant de terminer, permettez-moi d’adresser ici, du haut de la tribune, au parti clérical, au parti qui nous envahit (Écoutez ! écoutez !), un conseil sérieux. (Rumeurs à droite.)

    Ce n’est pas l’habileté qui lui manque. Quand les circonstances l’aident, il est fort, très fort, trop fort ! (Mouvement.) Il sait l’art de maintenir une nation dans un état mixte et lamentable, qui n’est pas la mort, mais qui n’est plus la vie. (C’est vrai !) Il appelle cela gouverner. (Rires.) C’est le gouvernement par la léthargie. (Nouveaux rires.)

    Mais qu’il y prenne garde, rien de pareil ne convient à la France. C’est un jeu redoutable que de lui laisser entrevoir, seulement entrevoir, à cette France, l’idéal que voici : la sacristie souveraine, la liberté trahie, l’intelligence vaincue et liée, les livres déchirés, le prône remplaçant la presse, la nuit faite dans les esprits par l’ombre des soutanes, et les génies matés par les bedeaux ! (Acclamations à gauche. — Dénégations furieuses à droite.)

    C’est vrai, le parti clérical est habile ; mais cela ne l’empêche pas d’être naïf. (Hilarité.) Quoi ! il redoute le socialisme ! Quoi ! il voit monter le flot, à ce qu’il dit, et il lui oppose, à ce flot qui monte, je ne sais quel obstacle à claire-voie ! Il voit monter le flot, et il s’imagine que la société sera sauvée parce qu’il aura combiné, pour la défendre, les hypocrisies sociales avec les résistances matérielles, et qu’il aura mis un jésuite partout où il n’y a pas un gendarme ! (Rires et applaudissements.) Quelle pitié !

    Je le répète, qu’il y prenne garde, le dix-neuvième siècle lui est contraire. Qu’il ne s’obstine pas, qu’il renonce à maîtriser cette grande époque pleine d’instincts profonds et nouveaux, sinon il ne réussira qu’à la courroucer, il développera imprudemment le côté redoutable de notre temps, et il fera surgir des éventualités terribles. Oui, avec ce système qui fait sortir, j’y insiste, l’éducation de la sacristie et le gouvernement du confessionnal… (Longue interruption. Cris : À l’ordre ! Plusieurs membres de la droite se lèvent. M. le président et M. Victor Hugo échangent un colloque qui ne parvient pas jusqu’à nous. Violent tumulte. L’orateur reprend, en se tournant vers la droite :)

    Messieurs, vous voulez beaucoup, dites-vous, la liberté de l’enseignement ; tâchez de vouloir un peu la liberté de la tribune. (On rit. Le bruit s’apaise.)

    Avec ces doctrines qu’une logique inflexible et fatale entraîne, malgré les hommes eux-mêmes, et féconde pour le mal, avec ces doctrines qui font horreur quand on les regarde dans l’histoire… (Nouveaux cris : À l’ordre. L’orateur s’interrompant :)

    Messieurs, le parti clérical, je vous l’ai dit, nous envahit. Je le combats, et au moment où ce parti se présente une loi à la main, c’est mon droit de législateur d’examiner cette loi et d’examiner ce parti. Vous ne m’empêcherez pas de le faire. (Très bien !) Je continue.

    Oui, avec ce système-là, cette doctrine-là et cette histoire-là, que le parti clérical le sache, partout où il sera, il engendrera des révolutions ; partout, pour éviter Torquemada, on se jettera dans Robespierre. (Sensation.) Voilà ce qui fait du parti qui s’intitule parti catholique un sérieux danger public. Et ceux qui, comme moi, redoutent également pour les nations le bouleversement anarchique et l’assoupissement sacerdotal, jettent le cri d’alarme. Pendant qu’il en est temps encore, qu’on y songe bien ! (Clameurs à droite.)

    Vous m’interrompez. Les cris et les murmures couvrent ma voix. Messieurs, je vous parle, non en agitateur, mais en honnête homme ! (Écoutez ! écoutez !) Ah çà, messieurs, est-ce que je vous serais suspect, par hasard ?

    Cris à droite. — Oui ! oui !

    M. Victor Hugo. — Quoi ! je vous suis suspect ! Vous le dites ?

    Cris à droite. — Oui ! oui !

    (Tumulte inexprimable. Une partie de la droite se lève et interpelle l’orateur impassible à la tribune.)

    Eh bien ! sur ce point, il faut s’expliquer. (Le silence se rétablit.) C’est en quelque sorte un fait personnel. Vous écouterez, je le pense, une explication que vous avez provoquée vous-mêmes. Ah ! je vous suis suspect ! Et de quoi ?

    Je vous suis suspect ! Mais l’an dernier, je défendais l’ordre en péril comme je défends aujourd’hui la liberté menacée ! comme je défendrai l’ordre demain, si le danger revient de ce côté-là. (Mouvement.)

    Je vous suis suspect ! Mais vous étais-je suspect quand j’accomplissais mon mandat de représentant de Paris, en prévenant l’effusion du sang dans les barricades de juin ? (Bravos à gauche. Nouveaux cris à droite. Le tumulte recommence.)

    Eh bien ! vous ne voulez pas même entendre une voix qui défend résolument la liberté ! Si je vous suis suspect, vous me l’êtes aussi. Entre nous le pays jugera. (Très bien ! très bien !)

    Messieurs, un dernier mot. Je suis peut-être un de ceux qui ont eu le bonheur de rendre à la cause de l’ordre, dans les temps difficiles, dans un passé récent, quelques services obscurs. Ces services, on a pu les oublier, je ne les rappelle pas. Mais au moment où je parle, j’ai le droit de m’y appuyer. (Non ! non ! — Si ! si !)

    Eh bien ! appuyé sur ce passé, je le déclare, dans ma conviction, ce qu’il faut à la France, c’est l’ordre, mais l’ordre vivant, qui est le progrès ; c’est l’ordre tel qu’il résulte de la croissance normale, paisible, naturelle du peuple ; c’est l’ordre se faisant à la fois dans les faits et dans les idées par le plein rayonnement de l’intelligence nationale. C’est tout le contraire de votre loi ! (Vive adhésion à gauche.)

    Je suis de ceux qui veulent pour ce noble pays la liberté et non la compression, la croissance continue et non l’amoindrissement, la puissance et non la servitude, la grandeur et non le néant ! (Bravo ! à gauche.) Quoi ! voilà les lois que vous nous apportez ! Quoi ! vous gouvernants, vous législateurs, vous voulez vous arrêter ! vous voulez arrêter la France ! Vous voulez pétrifier la pensée humaine, étouffer le flambeau divin, matérialiser l’esprit ! (Oui ! oui ! Non ! non !) Mais vous ne voyez donc pas les éléments mêmes du temps où vous êtes. Mais vous êtes donc dans votre siècle comme des étrangers ! (Profonde sensation.)

    Quoi ! c’est dans ce siècle, dans ce grand siècle des nouveautés, des avénements, des découvertes, des conquêtes, que vous rêvez l’immobilité ! (Très bien !) C’est dans le siècle de l’espérance que vous proclamez le désespoir ! (Bravo !) Quoi ! vous jetez à terre, comme des hommes de peine fatigués, la gloire, la pensée, l’intelligence, le progrès, l’avenir, et vous dites : C’est assez ! n’allons pas plus loin ; arrêtons-nous ! (Dénégations à droite.) Mais vous ne voyez donc pas que tout va, vient, se meut, s’accroît, se transforme et se renouvelle autour de vous, au-dessus de vous, au-dessous de vous ! (Mouvement.)

    Ah ! vous voulez vous arrêter ! Eh bien ! je vous le répète avec une profonde douleur, moi qui hais les catastrophes et les écroulements, je vous avertis la mort dans l’âme (on rit à droite), vous ne voulez pas du progrès ? vous aurez les révolutions ! (Profonde agitation.) Aux hommes assez insensés pour dire : L’humanité ne marchera pas, Dieu répond par la terre qui tremble !

    (Longs applaudissements à gauche. L’orateur, descendant de la tribune, est entouré par une foule de membres qui le félicitent. L’assemblée se sépare en proie à une vive émotion.)

  • Patriot Act : l'effondrement des principes démocratiques

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    Qui peut imaginer que l'attentat à Charlie-Hebdo et les massacres antisémites de Paris ne seront pas réinvestis par le pouvoir ? Valls a déjà évoqué un renforcement de l’arsenal législatif devant des préfets réunis au ministère de l’Intérieur où ils suivaient en direct l’opération contre les frères Kouachi puis Amedy Coulibaly. Surenchères et apparents reculs vont se succéder avec en ligne de mire le Patriot Act et les prochaines présidentielles. 

    3992716853.pngSelon une méthode éprouvée, dans un premier temps on justifie une atteinte générale aux libertés publiques en insistant sur le caractère exceptionnel et sur l’importance des modes de contrôles, en particulier concernant l’habilitation des personnels et les protocoles à mettre en œuvre. Puis on élargit le champ d’application, et on réduit les possibilités de contrôle. L’exception devient la norme." J-P Manach

    Patriot Act  : l’exception devient la norme

    « Les entorses aux droits constitutionnels n’ont pas commencé avec M. Bush. Dans le sillage du premier attentat contre le World Trade Center, en 1993, et de celui qui a détruit le bureau fédéral d’Oklahoma City en 1995, le Congrès a passé l’Anti-Terrorism Act,, un des pires assauts à la Constitution depuis des décennies.»

    « Terrorism and Constitution »,
    The New Press, New York, 2002.

     

    patriot_poster1-231x300.jpgLe 25 octobre 2001, sous le gouvernement Bush, le Patriot Act était adopté à une écrasante majorité par le Congrès des États-Unis.

     Cette incroyable machinerie ultra-sécuritaire a exploité les attentats du 11 septembre. Elle a accru les pouvoirs administratifs d’espionnage des citoyens — perçus sous l’ange de terroristes potentiels — et a stigmatisé les arabes et les musulmans.  

     Dans l’incapacité de trouver une réponse aux questions sociales le gouvernement des États-Unis tentait d’unir la population autour de lui en réinvestissant les crimes réels et supposés. La prétendue « guerre contre le terrorisme »  servant également à " diaboliser les résistances en Palestine et dans le monde arabe, en Colombie et en Amérique latine."

     Terrible ironie de l’histoire, les terroristes impliqués dans l’attentat du World Trade Center appartenaient à cette famille que les gouvernements américains successifs ont armée en Afghanistan du temps de la " Guerre froide " contre l’URSS. Au nom, bien sûr, de la défense de la démocratie.

     

    - L’effondrement des principes démocratiques –

     En s’affranchissant des conditions légales d’encadrement, le Patriot Act restreint les libertés fondamentales, contourne le contrôle judiciaire et réduit les protections en matière criminelle. Il accroit la surveillance sans contrôle des citoyens, il facilite leur mise sur écoute, il contrôle leur activité sur internet, il permet l’intrusion dans leurs données personnelles, il supprime la confidentialité des lectures des Américains, il élargit les pouvoirs de perquisition, il autorise la détention des étrangers suspectés de porter atteinte à la sécurité, la constitution de listes de personnes à risques, la surveillance électronique par des banques de données, l'authentification des identités par la biométrie, la technologisation des contrôles aux frontières...

    « Outre le Patriot Act, la première vague de mesures antiterroristes comportait une mise à jour (c’est-à-dire un allongement considérable) des listes de personnes à surveiller, de nouvelles restrictions à la délivrance de visas, l’assouplissement des obligations de l’administration en matière de communication de l’information, une réglementation plus stricte des dons à des œuvres de bienfaisance tournées vers l’étranger et une foule d’autres mesures dont beaucoup étaient controversées mais pas toutes, du moins aux États-Unis. Il faut également mentionner quantité de lois adoptées non au niveau fédéral mais au niveau des États fédérés, et restées largement ignorées à l’intérieur même du pays, sans parler du reste du monde. Très souvent, ces textes facilitaient encore plus que la législation nationale l’interception des communications personnelles (téléphone et ordinateurs) et élargissaient les pouvoirs d’exception des États, notamment en matière de sante publique et de sécurité.»  (Mark Sidel)

     111025043413-khera-patriot-act-protest-story-top.jpg

    - le magasin aux accessoires légaux -

     Dans les années 2002-2003, d’autres dispositifs sécuritaires tentèrent de compléter le Patriot Act. Certaines des mesures ultra-sécuritaires n’ont pu être mises en œuvre et d’autres n’ont été  votées par le Congrès qu’à titre provisoire. Mais ce qui est rejeté par la mobilisation des défenseurs des libertés publiques et civiques, par les résistances politiques ou l’intervention de juges, réapparaît bientôt après quelques rectificatifs sous un autre nom ou une autre forme.

    - Projet d’ « Information totale ≫ ( Total Information Awareness, TIA ):  Créer une mégabase de données et de fichiers de sources diverses dans le but d'identifier des auteurs d'actes terroristes. ;

    - Loi de renforcement de la sécurité intérieure  (Domestic Security Enhancement Act  appelée également Patriot Act II );

    - Système d’information et de prévention du terrorisme ( Terrorism Information and Prevention System, TIPS) visant à attirer des millions de travailleurs américains dans un vaste réseau de surveillance et de délation ;

    vSystème de filtrage informatique préalable des passagers ( Computer Assisted Passenger Prescreening System, CAPPS II) ;

    - Programme intitulé «  Regard d’aigle «  ( Eagle Eyes), crée par  l’Armée de l’air, il incite à informer les autorités sur tout individu ou incident suspect ;

    - Programme « Matrix »  (Multi-State Anti-Terrorism Information Exchange)  en remplacement du projet TIA,( voir plus haut). Echange d’informations sur le terrorisme par l' interconnexion de fichiers publics et privés .

     Amendements amendés

     -Le Patriot Act, régulièrement reconduit depuis 2001, autorise ainsi le viol légal d’un certain nombre de droits constitutionnels que garantit théoriquement la  Constitution   :1er amendement : liberté de religion, de parole, de réunion et e la presse.

     - 4ème amendement : droit de ne pas subir des recherches et des saisies déraisonnables.

     - 5ème amendement : nul individu ne peut être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans un procès équitable.

     - 6ème amendement : droit à un procès public rapide par un jury impartial, le droit d’être informé des éléments de l’accusation, le droit de confronter les témoins et d’assistance juridique.

     - 8ème amendement : pas de détention arbitraire ou cruelle ni de condamnation exceptionnelle.

     - 14ème amendement : tous les individus (citoyens américains ou non) résidant aux États-Unis ont droit à un procès équitable et une égale protection par la loi. (USA Patriot Act -Maya Ghozali)

     - Le Patriot Act a été jusqu’en 2015. Cette fois par le gouvernement Obama, et toujours avec l’accord des deux chambres du Congrès pour qui le fait que cette législation conduit les autorités fédérales à outrepasser leurs droits ne pose aucun problème.

     Surveiller la terre entière

     La furie sécuritaire du Patriot Act américain concerne les sociétés américaines que se soit aux USA mais aussi dans le monde entier. La surveillance des courriels, des appels téléphoniques et des transactions financières ne concerne donc pas seulement les citoyens américains.  L'Europe est aux premières loges. 

     - Le patriot Act a pratiquement force de loi sur la directive européenne  95/46/EC concernant la protection des données et qui stipule que les entreprises doivent informer les utilisateurs dans le cas où ils divulguent des renseignements les concernant. Or les entreprises américaines, comme Microsoft ou Google doivent s’acquitter de l’obligation de renseignement qui leur est faite auprès des autorités américaines. " En avouant que les données stockées sur ses serveurs européens peuvent être transmises aux autorités judiciaires américaines, Microsoft lance une nouvelle vague d'inquiétudes sur la confidentialité des clouds publics."

    - L’accord d’échange, des données bancaires passé entre l’Europe et les États-Unis dans le cadre de la lutte anti-terroriste ( Terrorist Financing Tracking System - TFTP)  ne respecte ni les principes constitutionnels des États membres ni les droits fondamentaux. 

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    > Après le Patriot Act :  la seconde vague de l’antiterrorisme aux États-Unis - par Mark Sidel

    > La signature d'Obama est-elle illégale? Slate.fr

    > "USA Patriot Act", par  Maya Ghozali · ejuristes.org

    > 2011 - Dix ans après, à quoi ont serviles lois antiterroristes - Bug Brother

    > Ayse Ceyhan Sécurité, frontières et surveillance aux Etats-Unis après le 11 septembre 2001 Paru dans Cultures & Conflits, 53, printemps 2004

    > Protection des données : un rapport sur l’accord Swift ulcère les eurodéputés , par Christophe Auffray - ZDNet

  • Patriotisme

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    3992716853.pngJe marquerai un autre trait du caractère que prend le patriotisme chez le clerc moderne : la xénophobie. La haine de l’homme pour l’ "homme du dehors" (le horsain), sa proscription, son mépris pour ce qui n’est pas de chez lui. Tous ces mouvements, si constants chez les peuples et apparemment nécessaires à leur existence, ont été adoptés de nos jours par des hommes dits de pensée, et avec une gravité d’application, une absence de naïveté, qui ne contribuent pas peu à rendre cette adoption bien digne.

    Julien Benda, La trahison des clercs, 1927

    *

    "S'il faut d'un mot dire nettement les choses, eh bien : — Nous ne sommes pas patriotes."

    Remy de Gourmont 25280655_p.jpg " La plaie saigne toujours, Monsieur Jaurès "
    Le Petit Journal, 3 décembre 1903

    En avril 1891, Remy de Gourmont publie dans le Mercure de France un article au titre provocateur  "Le Joujou Patriotisme".  Il y exprime son refus de l'esprit revanchard xénophobe qui ne fait qu'attiser le nationalisme guerrier. Le pamphlet, qui rend aussi hommage à la culture allemande, fait un tel scandale qu'il vaut à Remy de Gourmont d'être licencié de la Bibliothèque Nationale.

    Dans  Le Figaro du 18 mai 1891, Octave Mirbeau lui apporte courageusement son soutien  et met en pièces un patriotisme putassier qui est " un des meilleurs agents de la gouvernable ignorance, un des moyens les plus sûrs de retenir un peuple dans l’abrutissement éternel " :

     3992716853.pngDans la presse, dans la rue, au Parlement, au théâtre, le patriotisme s’étale et braille, couvrant de son manteau de pochard les plus honteuses faiblesses et les pires infamies. Il n’importe. Nous devons le respecter, nous devons subir, sans nous révolter, ses compromettantes violences, ses dangereuses brutalités, ses odieux vandalismes, ses sauvageries d’iconoclaste ; il faut courber le dos sous le flot des sentimentalités ineptes qui coule de lui et déborde sur nous. L’autorité si prompte à lancer ses bandes de sergents de ville sur les inoffensifs promeneurs, se trouve désarmée contre ce brigandage. Elle dit : " C’est excessif, mais si respectable. "  Et sait-on pourquoi le patriotisme est si respectable, tout en étant excessif ? C’est parce qu’il est un des meilleurs agents de la gouvernable ignorance, un des moyens les plus sûrs de retenir un peuple dans l’abrutissement éternel.  (...)

    Ce patriotisme abject, négatif de toute beauté, devenu une exploitation électorale, un ignoble moyen de réclame saltimbanquiste, le déversoir bruyant et malpropre de la sottise et de la grossièreté humaines.  Et sait-on pourquoi le patriotisme est si respectable, tout en étant excessif ? C’est parce qu’il est un des meilleurs agents de la gouvernable ignorance, un des moyens les plus sûrs de retenir un peuple dans l’abrutissement éternel."

      *

    Le Joujou Patriotisme

    Remy de Gourmont

    3992716853.pngUn de ces tomes cartonnés, niaisement abjects, que d'universitaires ou d'ecclésiastiques matassins produisent sans relâche pour la falsification des juvéniles cervelles ; on l'entrouvre et cette image surgit : un vieux militaire, le poitrail illustré de la devanture en toc d'une bijouterie de faubourg, gémit accablé dans son fauteuil, et un gamin, signalant d'un air entendu, avec le bâtonnet de son cerceau, les symboliques oreilles de tatou qui fleurissent la coiffe d'une nourrice alsacienne appendue au mur : « Pleure pas, grand-père, nous la reprendrons ! »

     Immédiatement, on pense à cet enfant monté en graine, plus hautement pédonculé que ces choux de Jersey dont on fait des cannes, — à M. Paul Déroulède. Lui aussi fait rouler, mais avec fracas et en tapant dessus avec un vieux sabre ébréché, le cerceau avarié du patriotisme, et se penchant vers la France, qui n'est pas sourde, lui hurle dans le tympan : « Pleure pas, grand'mère, on te la rendra, ta symbolique nounou ! »

    Moins gnan-gnan que le vétuste et lacrymatoire retraité, la matrone impatientée finit par répondre : « J'aimerais assez qu'on me confiât d'autres secrets. »

     Nous aussi : le désir de renouer à la chaîne départementale les deux anneaux rouillés qu'un heurt un peu violent en a détachés ne nous hante pas jour et nuit. Nous avons d'autres pensées plus urgentes; nous avons autre chose à faire. Personnellement, je ne donnerais pas, en échange de ces terres oubliées, ni le petit doigt de ma main droite : il me sert à soutenir ma main, quand j'écris ; ni le petit doigt de ma main gauche : il me sert à secouer la cendre de ma cigarette.

     Inutile, à ce propos, de me traiter de mauvais Français ou même de Prussien ; cela ne me toucherait pas : Kant était Prussien et Heine aussi ; puis je vous demanderais, par curiosité pure, ce que vous donneriez de vos précieuses peaux pour joindre à la France la Wallonie belge ou la vallée de Lausanne, — pays, ce me semble, un peu plus français de langue et de race que les bords du Rhin ? Personne n'aboie contre les Anglais, qui détiennent les îles normandes, et le lointain, mais clairement francais, Canada, province d'outre-mer, mais aussi nettement province de France que les Charentes ou la Picardie.

     Au fait, ces coins de terre d'au-delà les Vosges, sont-ils donc devenus si malheureux ? Les aurait-on, par hasard, fait changer de langue, de mœurs, de plaisirs ? Ont-ils subi un service militaire plus long ou plus dur, une administration plus pointilleuse, des fonctionnaires plus rogues, des maîtres d'écoles plus pédants et plus fats, des embêtements de conscience plus notoires, des impôts plus lourds, un gouvernement moins digne, moins sympathique, moins probe ?

     Il me paraît qu'elle a duré assez longtemps la plaisanterie des deux petites sœurs esclaves, agenouillées dans leurs crêpes au pied d'un poteau de frontière, pleurant comme des génisses, au lieu d'aller traire leurs vaches. Soyez sûr qu'avant comme après, elles mangent leurs rôtis à la gelée de groseilles, grignotent leurs dretzels salés et lampent leurs amples moss. N'en doutez point, elles font l'amour et elles font des enfants. Cette nouvelle captivité de Babylone me laisse froid.

     La question, du reste, est simple : l'Allemagne a enlevé deux provinces à la France, qui elle-même les avait antérieurement chipées : vous voulez les reprendre ? Bien. En ce cas, partons pour la frontière. Vous ne bougez pas ? Alors foutez-nous la paix.

     Jadis, en de permanentes guerres, avec de vraies armées, c'est-à-dire composées de soldats de métier et de carrière, on se trouvait vainqueur sans vanité, vaincu sans rancune. La défaite n'avait pas cette conséquence : une nation pleurnichant et hihihant pendant vingt ans, telle qu'une éternelle fillette ; oui, comme une fillette qui a laissé tomber sur le bon côté sa tartine de confitures.

     Jadis, le lendemain de la paix signée, les sujets des deux pays trafiquaient ensemble sans amertume, franchissaient indifférents les frontières modifiées, et les officiers des deux armées, la veille aux prises, buvaient à la même table, en gens d'esprit. Je verrais sans nul effarouchement des officiers francais trinquer avec des officiers allemands : font-ils pas le même métier, et pourquoi, noble ici, ce métier deviendrait-il, là, infâme ?

     Ce désintéressement supérieur, la France l'éprouva, tant qu'elle fut une nation spirituelle et de haute allure. Les Francais d'alors disaient, ayant perdu, délicats et sourieurs : « Messieurs, nous vous revaudrons ça » — puis parlaient d'autre chose. Serions-nous devenus, à cette heure, des brutes rancunières, douées de cervelles éléphantines  ?

     Dépurons-nous de ces humeurs ; prenons quelques pilules de dédain qui fassent issir par les voies naturelles ce virus nouveau, dénommé : Patriotisme.

     Nouveau, oui, sous la forme épaisse qu'il assume depuis vingt ans, car son vrai nom est vanité : nous sommes la civilisation, les Allemands sont la barbarie...

     Oh !

     On ne peut, il est vrai, nous dénier une littérature et un art supérieurs à la littérature et à l'art allemands ; mais cet art même et cette littérature, demeurés tout cénaculaires, sont inconnus à nos derviches hurleurs, et de ceux d'entre eux qui les soupçonnent, méprisés : ce qu'on en montre dans les journaux et dans les expositions devrait, au contraire, nous engager vers une certaine modestie. Quelle fierté les patriotes ont-ils jamais tirée des œuvres de, par exemple, Villiers de l'Isle-Adam ? Soupçonnaient-ils son existence, alors que le roi de Bavière l'accueillait et l'aimait ? Ont-ils subventionné Laforgue, qui ne trouva qu'à Berlin la nourriture nécessaire à la fabrication de ses chefs-d'œuvre d'ironie tendre ? Et pour ne citer qu'un seul nom d'artiste, est-ce par les patriotes que sont achetées les lithographies de Redon, dont les admirateurs sont presque tous scandinaves et germains ? Il y a un patriotisme à la portée de tous ceux qui possèdent trois francs cinquante, c'est d'acheter les livres des hommes de talent et de ne pas les laisser mourir de misère.

     Laissons donc l'art et la littérature, puisque les productions par lesquelles on nous clame supérieurs sont au contraire de celles qui nous humilieront à jamais dans l'histoire de l'esprit humain, — et parlons du reste.

     L'érudition, mais elle est allemande. Les Allemands ont inauguré, et détiennent encore, la philologie romane, et s'il faut chercher des professeurs connaissant mieux l'ancien français que les maîtres de l'École des Chartes, c'est en Allemagne. Qui nous a fait connaître notre littérature dramatique d'avant Corneille ? Des Allemands, et les bonnes éditions de ces poètes sont allemandes.

     Qui a connu mieux que nul l'histoire de la Révolution française ? Des Allemands, les Sybel et les Schmidt.

     Qui a débrouillé l'histoire grecque et l'histoire romaine, sinon les Mommsen et les Curtius ?

     Je ne dis rien de la philosophie, rien de la musique : domaines allemands, — et je me borne à ces indications pour ne point répéter un ancien article de M. Barrès, dont le spirituel antipatriotisme jadis m'avait charmé.

     Le vrai, c'est que l'intellect germain et l'intellect français se complètent l'un par l'autre, sont créés, dirait-on, pour se pénétrer, se féconder mutuellement : du cerveau de l'Europe, l'un des peuples est le lobe droit l'autre est le lobe gauche, et rien, en ce cerveau, ne peut fonctionner normalement si l'entente n'est parfaite entre les deux inséparables hémisphères.

     Peuples frères, il n'y en a guère qui le soient plus clairement ni mieux faits pour une entière et profonde sympathie, malgré des différences évidentes dans les modalités de la pensée. Ils sont calmes et nous sommes de salpêtre ; ils sont patients et nous sommes nerveux ; ils sont lents et un peu lourds, nous sommes vifs et allègres ; ils sont muets et nous sommes braillards ; ils sont pacifiques et nous avons l'air belliqueux : dernier point où l'entente est extraordinairement facile, car il semble certain qu'ils en ont, de même que nous, assez et, de même que nous, ne souhaitent rien, si ce n'est qu'on les laisse travailler en paix.

     Non, nous n'avons nulle haine contre ce peuple ; nous sommes trop bien élevés pour afficher une enfantine rancune, trop au-dessus de la sottise populaire pour même la ressentir : quant à moi, entre les assourdissants jappeurs ligués contre notre quiétude et les placides Allemands, je n'hésite pas, je préfère les Allemands.

     Les défiances s'assoupissaient, lorsque M. de Cassagnac s'est mis à trouver mauvais que l'impératrice, cette charmante femme, ait voulu voir Saint-Cloud et Versailles : ce sont cependant d'agréables promenades, et les choisir, une preuve de bon goût, car cette étrangère, n'aurait-elle pas aussi bien pu manifester le désir d'assister aux courses d'Auteuil ?

     Dire qu'il ne s'est pas trouvé en cette ville, qui se targue d'esprit et de bravoure, un peintre assez indépendant de l'opinion populaire, assez courageux contre la sottise journalistique pour oser obéir à cet instinct naturel qui domine aujourd'hui ce qu'on dénomme l'école française : l'intérêt de la vente ! Le Patriotisme a été le plus fort, étant la sottise suprême — pourquoi s'étonner ?

     Ah ! si Henri Regnault n'avait pas été tué à Buzenval, si ce peintre patrouillait encore ses noirs savoyards, ses roses souillés, ses blancs de panaris, s'il se livrait encore, en de luxueux ateliers, à ce que Huysmans appelle « son vagabondage du dessin et son cabotinage édenté des couleurs » ! Mais les Prussiens l'ont occis. Cela ne fait jamais qu'un artiste médiocre de moins, — et il y en a tant !

     Puis, à chacun son métier : le sien était de faire de la peinture, même mauvaise, — comme le métier de Verlaine est à de divines poésies. Le jour, pourtant, viendra peut-être où l'on nous enverra à la frontière : nous irons, sans enthousiasme ; ce sera notre tour de nous faire tuer : nous nous ferons tuer avec un réel déplaisir. « Mourir pour la Patrie » : nous chantons d'autres romances, nous cultivons un autre genre de poésie.

     Leur supprimer, à ces « s... b... de marchands de nuages », — il s'agit de nous, selon Baudelaire, — leur couper toute religion, tout idéal et croire qu'ils vont se jeter affamés sur le patriotisme ! Non, c'est trop bête et ils sont trop intelligents.

     S'il faut d'un mot dire nettement les choses, eh bien : — Nous ne sommes pas patriotes.

     25 mars 1891
    publié dans le Mercure de France, juillet 1891

     > Wikisource

     > Octave Mirbeau "les beautés du patriotisme", Le Figaro, 18 mai 1891. Wikisource

     > Remy de Gourmont et Octave Mirbeau  :  de l'amitié à la rupture :  Gérard Pouloin -  Université de Caen

     > Interview d'Octave Mirbeau par Paul Huret - Echo de Paris

    > Remy de Gourmont - les amis de Gourmont

  • Quelle union nationale ?

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    Dessin et commentaire

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    Dessin donné par Charb à la Pla­te­forme des ONG pour la Palestine en 2002 pour la Cam­pagne « Occu­pation : pas d’Accords ! ».

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    Dix ans plus tard, et concernant toujours le boycott et les boycotteurs des produits israëliens, Michèle Alliot-Marie, alors ministre d’Etat sarkozyste de la justice et garde des sceaux, mettait les points sur les "i" dans son discours au dîner de l’antenne bordelaise du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) du 18 février 2010.

    "Je n’accepte pas que des personnes, responsables associatifs, politiques ou simples citoyens, appellent au boycott de produits au motif qu’ils sont kasher ou qu’ils proviennent d’Israël. Je souhaite que le parquet fasse preuve de davantage de sévérité à ce sujet. J’ai donc adressé une circulaire aux parquets généraux, leur demandant d’identifier et de signaler tous les actes de provocation à la discrimination. J’entends que tous les auteurs d’actes soient poursuivis dès qu’ils auront été identifiés et notamment quand les appels auront été faits sur Internet. A cet égard, je salue la détermination du parquet dans l’affaire de l’individu qui avait appelé au boycott de produits israéliens par voie d’affichettes dans un centre commercial de Mérignac. »

    Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi s'immolait par le feu, puis des dizaines de Tunisiens révoltés contre la dictature de ben Ali tombaient sous les balles. Profitant des fêtes, Michèle Alliot-Marie s'en allait réveillonner en Tunisie. A son  retour dans la patrie des droits de l'Homme, notre inoxydable  proposait à l'Assemblée nationale que la France de droite aide le Ben Ali à sécuriser sa Tunisie agitée par une méchante insurrection.

    " Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C'est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays, dans le cadre de nos coopérations, d'agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité."


    ALLIOT-MARIE propose d'aider la Tunisie dans la... par SuperBeurkMan

  • Réinvestir le crime : le magasin aux accessoires légaux

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    " ll s'agit de savoir à cette heure si la République Française en est là. Je m'empresse de dire bien haut que, s'il ne s'agissait que de la République telle que l'ont faite vingt-cinq ans d'opportunisme, telle que nous la connaissons sous les espèces d'un Président-parvenu qui joue au souverain, d'un premier ministre sournoisement brutal qui essaye d'adapter à sa lourde main la poignée du glaive de la raison d'État, d'un Parlement où tout est représenté, sauf la conscience et l'âme de la France, il ne vaudrait sans doute pas beaucoup la peine de se préoccuper bien vivement du sort de cet édifice branlant. (Francis de Pressensé -1899)

    Les liens de cet article s'ouvrent dans la même fenêtre

    Troisième république : 1893-1894

    arton1748-a6890.jpg" Un léger frisson troubla la quiétude des majorités, d'ordinaire si sereine d'inconscience, le jour où les "lois scélérates furent inscrites dans le Code.

    Mais bientôt chacun, dans son for intérieur, se morigéna et, afin de n'avoir pas à s'indigner de tout l'arbitraire que ces lois nouvelles faisaient prévoir, se fit une raison : 

    " A quoi bon s'effrayer ? Les lois scélérates étaient un tonnerre de parade. On allait reléguer ça dans le magasin aux accessoires légaux et elles ne seraient guère qu'un croquemitaine pour grands enfants... croquemitaine d'apparence rébarbative, mais en réalité bénin, — bonne pâte, carton-pâte."

     Emile Pouget

     Réinvestir le crime.

    La IIIème république, issue du Second empire et de la répression de la Commune de Paris, établit  le monopole politique d'une " bourgeoisie aussi égoïste et moins décorative que l'ancienne noblesse et de la corruption croissante d'une société asservie au capitalisme." ( Frédéric  de Pressensé)

    En quelques années, les anciens carbonari qui ont lutté contre le régime de la Restauration se sont métamorphosés en gardiens d'un régime à qui ils doivent leur carrière, leur fortune et la réalisation future de leurs sordides ambitions. 

    Les revendications sociales les plus élémentaires sont de longue date assimilées à une insurrection contre l'ordre établi — et L'Etat de droit n'a de cesse d'affirmer sa capacité de répression comme en témoigne le massacre de Fourmies du 1er mai 1891. 

    Sadi-Carnot, intronisé par ses pairs président de la république pour un mandat de 7 ans (3 décembre 1887),se présente comme le sauveur d'un régime malmené par l'épisode antiparlementariste du général Boulanger et le scandale politico-financier de Panama (1882) — scandale vite escamoté mais qui continue de jeter le discrédit sur des élites politiques et des parlementaires bienveillants  envers  des  milieux  d'affaires  véreux.  

    Pour  redorer le blason d'une  jeune république de 23 ans — déjà corrompue — et se rapprocher du peuple, Sadi Carnot met en scène son pouvoir : il diffuse ses portraits aux quatre coins du pays, il participe aux nécessaires œuvres de charité et multiplie ses déplacements dans les provinces  à la manière de Napoléon III — inspiré de l' Ancien régime.

    C'est  lors d'un de ces "voyages de souveraineté" à Lyon qu'il est assassiné le 24 juin 1894 par Santo Caserio, un anarchiste italien.

    Ce présicide,  est  utilisé à des fins de sanctification laïque du régime. 

    En 1893 et 1894, le gouvernement exploite la panique provoquée par quelques attentats d'anarchistes « individualistes » qui mettent en pratique la « propagande par le fait ». Ces actes, admis par une partie des militants anarchistes ne viset pas les personnes – du moins jusqu'à l'attentat d'Emile Henry, du 12 février 1894, et ses victimes anonymes.

    Sous le prétexte de défendre l'ordre social et la sécurité publique, le pouvoir puise alors dans le " magasin aux accessoires légaux " et initie des lois d'exception accompagnées de peines plus que draconiennes.

    Dans l'incapacité d'apporter une réponse à la question sociale, il va «réinvestir le crime de telle sorte qu'il puisse unir la population autour du régime.» ( Karelle Vincent )  

    *

    1893-1894 :  l'arbitraire et l'injustice.

    Les trois lois connues sous le terme générique de « lois scélérates », élaborées dans la précipitation, furent votées en sept mois. Fondées sur l'arbitraire et l'injustice elles se complétaient et violaient tous les principes du droit.

     « Elles abrogent les garanties conférées à la presse en ce qu'elles permettent la saisie et l'arrestation préventive ; elles violent une des règles de notre droit public en ce qu'elles défèrent des délits d'opinion à la justice correctionnelle ; elles violent les principes du droit pénal en ce qu'elles permettent de déclarer complices et associés d'un crime des individus qui n'y ont pas directement et matériellement participé ; elles blessent l'humanité en ce qu'elles peuvent punir des travaux forcés une amitié ou une confidence, et de la relégation un article de journal. » ( Léon Blum)

    Dans la pratique elles s'appuyèrent sur des magistrats zélés qui renchérissaient sur les textes légaux, ajoutaient la relégation au châtiment principal et faisaient peu de cas d'un point de droit absolu qui est que les lois n'ont pas d'effet rétroactif.

    Dans certains cas, la disproportion de la peine était telle qu'elle incitait le procureur ou le jury à intercéder pour une grâce ou une révision.  Par la loi du 28 juillet 1894,  tout condamné à plus d'un an de prison pour des délits « anarchistes » était  reléguable à une deuxième condamnation.  

    *

    Loi du 12 décembre 1893 :  saisie et arrestation préventive. 

    La loi du 12 décembre 1893 avait pour objet de modifier celle du 29 juillet 1881 sur la presse. Le prétexte en fut l'attentat de l'anarchiste Vaillant qui, le 9 décembre 1893, lança une bombe dans l'hémicycle de la Chambre des députés — cet acte qui ne fit aucune victime et n'interrompit même pas la séance du jour lui vaudra pourtant d'être guillotiné, Sadi Carnot lui refusant  la grâce présidentielle.

    Casimir-Perier se saisit de l'occasion pour soumettre au vote un ensemble de mesures répressives dont voici l'esprit : 

    « Alors que la loi sur la presse ne punit que la provocation directe aux faits qualifiés crimes, le nouveau texte frappait la provocation indirecte, c'est-à-dire l'apologie. Les pénalités étaient élevées. Dans tous les cas — exception faite pour les délits contre la sûreté intérieure de l'Etat  le juge pouvait, contrairement au principe posé par l'article 49 de la loi du 29 juillet 1881, ordonner la saisie et l'arrestation préventive. » (Léon Blum)

     *

    Loi du 18 décembre 1893 : l'intention et l'entente.

    Cette loi portait sur les associations de malfaiteurs. 

    Elle « lésait un des principes généraux de notre législation. La loi française pose en principe que le fait coupable ne peut être puni que quand il s'est manifesté par un acte précis d'exécution. Aux termes de ce nouveau texte, la simple résolution, l'entente même prenait un caractère de criminalité. » (Léon Blum)

    Le mot d'entente avait été choisi à dessein parce qu'il permettait de frapper aussi bien le présumé coupable que son entourage : famille, amis ou simples connaissances.

    « C'est sur ce mot d'entente que la discussion porta. Elle fut brève. M. Charpentier vint protester contre la précipitation avec laquelle le gouvernement demandait à la Chambre de créer ainsi à la fois un nouveau mot et un nouveau crime. MM. Jourde, de Ramel, Goblet montrèrent. que tout peut être considéré comme une entente, une lettre, une conversation, le hasard d'une rencontre, La Chambre ne les écouta pas. M. Flandin répondit qu'on voulait précisément atteindre des groupes non organisés, des concerts fortuits, des associations provisoires, et qu'à dessein l'on avait choisi le mot le plus vague qu'offrit la langue. Un amendement de M. Jourde tendant a  remplacer le mot entente par les mots «résolution d'agir concertée et arrêtée», fut repoussée par 406 voix contre 106.  406 voix contre 39 votèrent aussitôt après l'ensemble du projet de loi.  » ( Léon Blum)

    *

    Loi du 28 juillet 1894 : délits de plume et de parole.  

    La « loi tendant à réprimer les menées anarchistes » se présentait comme une réponse à l'assassinat de Sadi Carnot du 24 juin 1894. Elle muselait la presse  et l'opinion en réprimant toute forme de propagande — anarchiste ou pas —,  en créant l'équivalent d'une  double  peine  ainsi que d' une peine plancher et en envisageant d'interdire la reproduction des débats.  Le ministère la loi de 1894,  sera aussi le ministère de l’affaire Dreyfus.

    « Le lundi 9 juillet, le garde des sceaux, un sénateur du Vaucluse nommé Guérin, montait à la tribune, et donnait lecture d'un nouveau projet de loi destiné à atteindre ceux qui, « en dehors de tout concert et de toute entente préalable, font par Un moyen quelconque, acte de propagande anarchique » M. Guérin résumait en quelques mots la loi nouvelle. Il s'agissait non seulement des délits prévus par la loi du 12 décembre 1893 (délits de presse, délits publics), — mais de tous les actes de propagande, quels qu'ils fussent, des actes de propagande secrète, intime, confidentielle, résultant d'une conversation entre amis ou d'une lettre privée. Ces délits étaient désormais déférés non plus au jury, mais à la juridiction correctionnelle, « une répression rapide étant seule efficace ». L'emprisonnement devait être individuel sans qu'aucune diminution de peine ne pût s'ensuivre. Les tribunaux pouvaient décider que les condamnés seraient relégués à l'expiration de la peine. Les tribunaux pouvaient interdire la reproduction des débats. » (Léon Blum)

     

     *

    Le principe des lois d'exception  

    En quelques mois  le pouvoir mettait en place un dispositif législatif violant tous les principes du droit afin de museler  la presse, l'opinion et toute forme d'opposition. Il réactualisait les  lois de septembre, la loi de sûreté générale, et la loi des suspects antérieures.

    « Règle générale : quand un régime promulgue sa loi des suspects, quand il dresse ses tables de proscription, quand il s'abaisse à chercher d'une main fébrile dans l'arsenal des vieilles législations les armes empoisonnées, les armes à deux tranchants de la peine forte et dure, c'est qu'il est atteint dans ses œuvres vives, c'est qu'il se débat contre un mal qui ne pardonne pas, c'est qu'il a perdu non seulement la confiance des peuples, mais toute confiance en soi-même.» ( Francis de Pressensé

    Au regard des atteintes permanentes à la liberté d'expression, le manifeste sur les lois scélérates pourrait être remis à jour  — particulièrement dans leurs mécanismes juridiques qui autorisent tous les excès d'interprétation et d'application.

    " ll s'agit de savoir à cette heure si la République Française en est là. Je m'empresse de dire bien haut que, s'il ne s'agissait que de la République telle que l'ont faite vingt-cinq ans d'opportunisme, telle que nous la connaissons sous les espèces d'un Président-parvenu qui joue au souverain, d'un premier ministre sournoisement brutal qui essaye d'adapter à sa lourde main la poignée du glaive de la raison d'État, d'un Parlement où tout est représenté, sauf la conscience et l'âme de la France, il ne vaudrait sans doute pas beaucoup la peine de se préoccuper bien vivement du sort de cet édifice branlant. ( Francis de Pressensé)

     *

    Le manifeste  sur  les « lois scélérates ». 

    Rédigé par Francis de Pressensé, un juriste (Léon Blum), et Emile Pouget, le manifeste parut en brochure en 1899. Il réunissait les textes publiés antérieurement par ces trois auteurs dans la Revue blanche, accompagnés du texte des trois lois incriminées.

  • Quels bonnets rouges ?

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    En 1765, sous le règne de louis XIV,  alors que la Bretagne connaît des difficultés économiques importantes, une insurrection paysanne éclate dans la partie occidentale de la province : des paysans bretons se révoltent contre l'imposition de taxes royales et seigneuriales et, plus généralement, contre le poids de la féodalité et des privilèges nobiliaires. Le mouvement, qui menace de s'étendre au reste de la province, entraîne de la part du pouvoir royal une répression impitoyable.

    Manipulant l'Histoire, une bande organisée par le patronat breton ultralibéral se réclame aujourd'hui des "Bonnets rouges" et entend se faire passer pour progressiste - voire révolutionnaire !

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    Les Bonnets Rouges sont une manipulation de l'Histoire.

    Par les historiens Alain Croix (Nantes), André Lespagnol (Rennes), Fañch Roudaut (Brest).

    Tribune parue dans Ouest-France  et le Télégramme du 22 novembre 2013

    3992716853.pngDepuis un mois, on assiste à une manipulation de l’histoire de la Bretagne, à un degré rarement atteint. Historiens, nous pensons qu’on ne peut pas dire et écrire n’importe quoi, et en particulier en matière d’histoire : trop d’exemples tragiques nous l’ont rappelé.

    Qu’est-ce que « les Bonnets rouges » ?

    Nous sommes en 1675, sous le règne de Louis XIV, dans les campagnes de Basse-Bretagne. À un moment où, par ailleurs, de nombreuses villes à l’est de la province, Rennes surtout, connaissent aussi une révolte dite « du Papier timbré ».

    Pourquoi cette révolte des Bonnets rouges ? Alors que la Bretagne connaît, pour la première fois depuis près d’un siècle, de sérieuses difficultés économiques, les charges qui pèsent sur les paysans s’alourdissent : versements aux seigneurs surtout, taxes royales aussi, dont la multiplication donne une impression d’accablement fiscal. Ces taxes, réelles (sur le tabac, par exemple) ou imaginaires (l’instauration de la gabelle sur le sel) sont même ce qui met le feu aux poudres.

    Organisation exceptionnelle

    Les révoltés s’organisent de manière assez remarquable : rédaction de « codes », ancêtres des cahiers de doléances de 1789, élection de députés dotés d’une chemise et d’un bonnet rouge. La mobilisation des troupes pour la guerre de Hollande permet à la révolte de durer quatre mois, chose inouïe dans la France du roi absolu et dans une province réputée pour sa tranquillité.

    Sébastien Le Balp

    Il est facile d’établir des parallèles avec notre époque, et aussi des différences : l’essentiel n’est pas là.La révolte, en effet, vise tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent être perçus comme des exploiteurs : seigneurs, agents du fisc, clergé même. Les codes paysans réclament la suppression des corvées (seigneuriales surtout), la diminution des prélèvements sur les récoltes (les seigneurs encore, le clergé aussi), et un juste tarif pour divers services du quotidien : les messes et le vin, les actes devant notaire et le tabac…

    Ils ne s’en prennent jamais, bien au contraire, à un roi supposé ignorer les abus que connaît son royaume. Cette révolte, qui oppose des paysans bretons à leurs exploiteurs bretons, est avant tout sociale : il est symbolique que le révolté le plus connu, Sébastien Le Balp, soit assassiné par un seigneur, le marquis de Montgaillard.

    Légitime colère sociale

    Gommer cette fondamentale dimension sociale est un travestissement de l’histoire. Délibérément, certains au moins des animateurs du collectif Bonnets rouges veulent détourner la très légitime colère des victimes (agriculteurs, éleveurs en particulier, salariés d’une partie de l’industrie agro-alimentaire) contre « Paris », responsable de tous les maux. Alors qu’une part essentielle de responsabilité incombe à certains chefs d’entreprise et à certains syndicalistes agricoles qui n’ont pas voulu voir venir l’effondrement d’un modèle économique devenu dépendant de subventions européennes, ou qui l’ont très bien vu venir sans chercher à faire évoluer manières de produire et types de production. Selon une recette éprouvée, ils tentent de détourner une profonde et légitime colère sociale vers « les autres », tous les autres mais pas eux. Avec la connivence de quelques élus.

    Manipulation de l’histoire

    Nous ne sommes pas les seuls à dénoncer cette escroquerie intellectuelle : syndicats de salariés, désormais unanimes, un syndicat agricole comme la Confédération paysanne, certains  partis politiques, certains journalistes, certaines personnalités. Nous voulons leur apporter notre soutien.

    Manipuler l’histoire, tomber dans le populisme, n’a jamais aidé à résoudre de vrais problèmes. La preuve en est dans les efforts de récupération du mouvement par l’extrême droite, ce qui devrait faire réfléchir.Oui, il y a de quoi lakaat e voned ruz, « mettre son bonnet rouge », c’est-à-dire piquer une colère noire, selon l’expression imagée du breton. Encore faut-il tourner sa colère vers les vrais responsables.

    Alain Croix (Nantes), André Lespagnol (Rennes), Fañch Roudaut (Brest).

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    Quelques rappels

    La dernière grande révolte paysanne en France, celle de Bretagne en 1675, a lieu sous le règne de Louis XIV. Elle démarre dans les villes  avec des protestations anti-fiscales ( d’où son nom de révolte du papier timbré ) : Rennes, Nantes, Saint-Malo, Guingamp, Fougères, Dinan, Morlaix seront concernées.
    Puis, début juin, elle s'étend aux campagnes de Cornouaille, où elle se transforme en une révolte antiseigneuriale, beaucoup plus radicale,  dite des "Bonnets rouges" ou encore "Torreben" ( casse-tête).

    En Bretagne les droits seigneuriaux sont très lourds, le système foncier est précaire et les agents de  l'État ainsi que la noblesse, à travers les États de Bretagne, ont beaucoup d’intérêts en commun et pressurent la  paysannerie.
    Comme les  requêtes adressées au pouvoir restent sans réponse, La révolte se radicalise un peu plus et la réaction du pouvoir est à la mesure du crime des révoltés : plus de six mille soldats avance de Hennebont vers Quimperlé avec à leur tête le Duc de Chaulnes, surnommé " gros cochon" dans la province et  qui commentera son ouvrage de manière imagée et vantarde : “Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids qu'on leur donne”.

    Pour l'historien  Arthur de la Borderie (1827-1901), qui était loin d'être un révolutionnaire   :

    “Ce grand déploiement de puissance publique ne servait, avant tout, qu'à recouvrir les entreprises d'une misérable vengeance personnelle… sur ce point, le doute n'est guère possible…. Le premier mobile du duc de Chaulnes fut le désir de se venger de ses propres injures …. Madame la gouvernante, qui avait eu dans l'injure une large part, en voulut une aussi grande dans le plaisir de la vengeance”.

    Mme de Sévigné, une femme de cour et amie des "de Chaulnes", écrivait le 16 août  1675 :

    " On dit que nos mutins demandent pardon ; je crois qu’on leur pardonnera moyennant quelques pendus. "

    puis Le 24 septembre :

    " Nos pauvres bas Bretons, à ce que je viens d’apprendre, s’attroupent quarante, cinquante par les champs, et dès qu’ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa : c’est le seul mot de français qu’ils sachent… On ne laisse pas de pendre ces pauvres bas Bretons. Ils demandent à boire et du tabac, et qu’on les dépêche."

    Les admirateurs de Mme de Sévigné y voit une marque  de sa pitié, mais à lire ses sentiments et réactions vis-à-vis des bas Bretons et de la Bretagne tout au long de sa prose, il est permis d'en douter. Il faut préciser que, outre son éducation et son attachement à sa classe sociale, Mme de Sévigné savait que ses lettres seraient lues, relues et commentées dans les salons et à la cour, ce qui explique le ton souvent ironique et blessant qui vise à mettre les rieurs de son côté.

    D'autres réactions et commentaires de l'époque sur cette révolte:

    > "Les massacres perpétrés en Bretagne en 1675 par les armées du Roi : un souvenir qui véhicule l'épouvante "- Agence Bretagne Presse

    > La Révolte du papier timbré - Wikipedia

    Bibliographie :

    " Les Bonnets rouges ", collection 10/18 - 1975 :  Arthur Le Moyne de La Borderie, La Révolte du Papier Timbré advenue en Bretagne en 1675Boris Porchnev, Les buts et les revendications des paysans lors de la révolte bretonne de 1675.

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    Bretagne du patronat

    Là-bas si j'y suis

    France-Inter et Là-bas.org

    3992716853.pngOn est Breton ! On est le peuple ! Bonnets rouges et drapeaux bretons ont surgi à la Une, contre l’écotaxe, contre le chômage, contre les charges, contre tous les maux qui assaillent la Bretagne et donc contre Paris et donc contre la France ! À l’origine de ce mouvement, on trouve un collectif de patrons en lutte contre les "contraintes administratives et fiscales" en lien avec l’INSTITUT DE LOCARN, une sorte de DAVOS breton laboratoire de réflexions et centre de formation des élites locales. Réflexion sur l’Europe fédérale, réflexion sur le nationalisme breton... car "le problème de la Bretagne, c’est la France".

    France-inter : Vive la Bretagne libre  ! Première partie

    >  http://www.la-bas.org/

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    > France-inter : Vive la Bretagne libre  ! Deuxième partie

    > http://www.la-bas.org/

     Vivre, décider et travailler en Bretagne ! Les bonnets rouges n’ont pas seulement manifesté contre l’écotaxe, pas seulement contre la crise, mais aussi pour l’identité bretonne. L’élite des grands patrons bretons se retrouvent à l’Institut de Locarn, un think tank régionaliste en lutte contre l’État français et les "jacobinards". En lien étroit avec le monde politique, bien organisé, doté de fonds conséquents, le "lobby breton" avance ses pions méthodiquement. Mais des voix dissidentes se font entendre...

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    Leur régionalisme  : produit d’appel de leur ultralibéralisme

    3992716853.pngLe tout nouveau CCIB (Comité de Convergence des Intérêts Bretons) dénonce le " carcan administratif français "... dans ce comité de brimés figure Alain Glon, deuxième fortune de Bretagne, et qui en est d'ailleurs le co-fondateur avec Jacques Bernard, président de Produit en Bretagne¨.: Et pour cesser de pleurer dans les chaumines, on rappellera avec l'Humanité que le goupe Glon, c’est, dans l’agroalimentaire " un chiffre d’affaires, en 2012, de 1,8 milliard d’euros, 4 163 “collaborateurs” (entendez salariés) et 49 sites industriels en France et à l’international. "  Miam ! Miam !

    Alain Glon est aussi - et surtout - le président de l'Institut de Locarn qui regroupe les principaux des grands industriels de Bretagne qui ont une sainte horreur des contraintes - mais moins des aides publiques et jacobines ( Entre 2003 et 2013, Bruxelles a versé quelque 770 millions d’euros de subventions à la filière avicole.)  Un institut éminemment apolitique, comme on le voit, inauguré en 1994 par Yvon Bourges, gaulliste puis président RPR du Conseil Régional de l'époque, et Otto de Habsbourg, proche de l'Opus déï, et membre de la Trilatérale au pouvoir diffus et opaque et où se croisent et s'entrecroisent les dirigeants des multinationales, les gouvernants des pays riches et les partisans du libéralisme économique.

    - Le projet de l'Institut de Locarn a été exposé par son fondateur, Joseph Le Bihan, en 1993, sous le titre « Genèse de l'Europe unifiée dans le nouveau monde du XXIe siècle » : la France n'a plus d'avenir ; l’État-nation doit disparaître ; il faut liquider l'éducation nationale, les services publics et surtout les services culturels, en finir avec l'héritage de la Révolution française, syndicalisme, laïcité, et autre boulets : « Nous allons réintégrer cette Europe de la civilisation et de la propreté qui existe déjà en Allemagne, en Suisse et dans certains pays nordiques. " Françoise Morvan

    Rien que des hommes de progrès qui veulent en finir avec la République et ses lois contraignantes, surtout celles acquises de haute lutte et qui nous protègent de  leurs dérives. Vous avez-dit Code du travail ? conventions collectives ? salaire minimum ?.... vite mon bonnet!

    Lakaat e voned ruz : C'est nous qui mettons le bonnet rouge !  rouge et noir de de colère !

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    Cochon de bonnet rouge

    3992716853.pngContre la colère de ses manants affamés qui venaient pour le pendre, le Seigneur est sorti de son château en leur disant "Je suis avec vous, notre ennemi c'est le Roi !". Et tous ensemble se mirent à hurler "À bas le Roi ! Vive notre bon Seigneur !". Et tous, le Seigneur en tête, se mirent en marche, arborant des chapeaux ronds, des drapeaux bleus, des sabots noirs ou des bonnets rouges...

    Cette histoire est de partout et de tous les temps. Ainsi, les puissants responsables de L'élevage intensif en Bretagne, soutenus par des subventions publiques depuis des années, réussissent à créer la confusion, en se posant en victimes de la catastrophe économique, humaine et environnementale qu'ils ont engendrée avec l'appui de puissants lobbies industriels et professionnels.

    La lutte est en cours mais quelles sont les alternatives ?  Aujourd'hui, chez un éleveur de porcs puis avec un aviculteur, qui veulent montrer que des évolutions sont possibles. "

    Un reportage d'Anaëlle Verzaux.

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     Le patronat à la manœuvre

    Une Bretagne aux mains des patrons, de l’Église et des notables on n'en veut pas ! Même si c'est au nom et au son du  "Vivre, décider et travailler en Bretagne".

    Cette " Bretagne ni blanche ni rouge " mais toujours parée d'hermines, de duchesse Anne aux petits sabots, de saint Yves défenseur de la charité bien ordonnée, de label Breton et d'agro-industrie, on sait par expérience ce qu'elle sera : libérale, dérégulée intensive et polluée. La surprise ne sera pas très grande : c'est ce qu'elle est déjà en grande partie.

    Quant aux futurs rassemblements de Bretons de souche qui vont  "au-delà des divisions entre professions ou sensibilités politiques", laissons-les dans leur au-delà et méfions-nous comme de la peste et du choléra de cette fameuse et fumeuse Union sacrée, qui n'est jamais que le cache-sexe de la réaction et la porte ouverte à la régression sociale.

  • 17 décembre 2010 : Mohamed Bouazizi

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    Le 17 décembre 2010, alors que Mohamed Bouazizi s'immolait par le feu suicide et devenait ainsi l'élément déclencheur de la révolution en Tunisie. Alors que des dizaines de Tunisiens révoltés tombaient sous les balles du dictateur Ben Ali, le maire de Paris, Bertrand Delanoé, et la ministre sarkozyste des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, s'en allaient  fêter leur réveillon en Tunisie - Parmi d'autres adorateurs.

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     "Le geste est émouvant, chargé d'affection et de symbolique: le Président Zine El Abidine Ben Ali a tenu à se rendre, mardi, au chevet du jeune Mohamed Bouazizi, originaire de Sidi Bouzid, qui s'est immolé par le feu, avant d'être secouru et placé en soins intensifs, au centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous..."

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    Le régime de Ben Ali

    "Une dictature, la Tunisie ? L’Egypte, une dictature ? En voyant les médias se gargariser maintenant du mot "dictature" appliqué à la Tunisie de Ben Ali et à l’Egypte de Moubarak, les Français ont dû se demander s’ils avaient bien entendu ou bien lu. Ces mêmes médias et ces mêmes journalistes n’avaient-ils pas, durant des décennies, martelé que ces deux "pays amis" étaient des "États modérés" ? Le vilain mot de "dictature", dans le monde arabo-musulman, n’était-il pas exclusivement réservé (après la destruction de l’ "effroyable tyrannie" de Saddam Hussein en Irak) au seul régime iranien ? Comment ? Il y avait donc d’autres dictatures dans cette région ? Et nos médias, dans notre exemplaire démocratie, nous l’auraient-ils caché ?"  Ignacio Ramonet

    Déliquescence de l’État, répression accrue et "essor économique". Pour être le " rempart contre la déferlante intégriste dans la région",  le régime de Ben Ali avait carte blanche pour réduire au silence la moindre opposition par la censure de la presse, les arrestations arbitraires, la torture et les procès d'opinion.

    Le régime avait atteint sa vitesse de croisière : 

    • Main mise sur le pole industriel de l’Institut Pasteur de Tunis par des membres de la famille de Leila Trabelsi; 
    • Rachat d’Orange Télécom par la famille Ben Ali; 
    • Rachat des parts d’Orascom dans l’opérateur de télécom Tunisiana; 
    • Monopole de l’importation des viandes qui passe sous le contrôle de Imed Trabesli ( triste délinquant notoire et fils de Leila Ben Ali - son frère sur les registres de l’État civil); 
    • La Banque BFT qui est en train d’être privatisée pour passer sous le contrôle de la famille (plusieurs prétendants sont sur la liste, tous de la famille Ben Ali et Trabesli).
    • Sur décision de Zine Ben Ali, tous les avoirs de la famille ont été transférés à Dubai et reconvertis en lingots d’or
      source Nawaat 

    Diplomatie française

    Merveilleuse et inoxydable, Alliot-Marie. Elle fut sis fois ministre, sans discontinuer de 2002 jusque sous Sarkozy, premier dignitaire de la Ve République à inaugurer successivement quatre ministères dits " régaliens." Ministre des Affaires étrangères, elle vanta devant les députés, le  11 janvier 2011, les compétences de la France de droite pour venir en aide à Ben Ali et sécuriser une Tunisie agitée par une méchante insurrection.

    " Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C'est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays, dans le cadre de nos coopérations, d'agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité. "


    ALLIOT-MARIE propose d'aider la Tunisie dans la... par SuperBeurkMan

    Assemblée nationale -  Séance du mardi 11 janvier 2011

    Tunisie : les deux problèmes à régler selon la droite,avant la chute du dictateur.

    - M. Jean-Paul Lecoq. (...) Madame la ministre des affaires étrangères, comment justifiez-vous cette incohérence de notre pays : d'un côté la France appelle au respect de la démocratie en Côte d'Ivoire alors que de l'autre elle soutient de manière indéfectible la dictature de M. Ben Ali ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

    - M. Arnaud Montebourg. C’est vrai !

    - M. le président. La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

    - Mme Michèle Alliot-Marie. Monsieur le député, oui la Tunisie comme l’Algérie connaissent en ce moment des mouvements sociaux de grande ampleur et qui touchent particulièrement les jeunes. Face à cela, plutôt que de lancer des anathèmes,…
    - M. Maxime Gremetz. Des anathèmes ? Il faut appeler un chat un chat !
    - Mme Michèle Alliot-Marie,. …notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation.  Parlons du fond, tout d’abord. Il est vrai que dans ces deux pays, il y a énormément d’attentes – notamment de la part des jeunes, et en Tunisie particulièrement de jeunes formés – de pouvoir accéder au marché du travail.
    - M. Michel Lefait. En France aussi !
    - Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Or c’est un problème pour ces pays. C’est bien la raison qui nous porte à souligner le bien-fondé de la volonté du Président de la République de répondre, dans le cadre du G8 et du G20, aux préoccupations et aux besoins de ces pays. Il s’agit, en particulier, de toutes les conditions nécessaires que la communauté internationale tout entière doit mettre pour permettre aux jeunes et aux jeunes diplômés de pouvoir accéder au marché du travail.
    - M. Jean-Paul Lecoq. Et Ben Ali ?
    - Mme Michèle Alliot-Marie. Le deuxième problème est effectivement celui des décès et des violences constatées à l’occasion de ces manifestations.
    - M. Maxime Gremetz. Cinquante-deux morts !
    - Mme Michèle Alliot-Marie. On ne peut que déplorer des violences concernant des peuples amis.  Pour autant, je rappelle que cela montre le bien-fondé de la politique que nous voulons mener quand nous proposons que le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier, permette de régler des situations sécuritaires de ce type.
    - M. Roland Muzeau. Quelle honte !
    - M. Pierre Gosnat. Et Ben Ali ? Répondez à la question !
    - Mme Michèle Alliot-Marie. C’est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays de permettre, dans le cadre de la coopération, d’agir dans ce sens, afin que le droit de manifester soit assuré de même que la sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
    -M. Jacques Desallangre. Quelle duplicité !

    *

    Le Canard enchaîné révéla  qu'entre Noël et le jour de l'An 2010,  Alliot-Marie et son conjoint Patrick Ollier, ministre chargé des Relations avec le Parlement - ainsi que des membres de leur famille, utilisèrent un  jet privé appartenant  à un dénommé Aziz Milad pour rejoindre à Tabarka leur lieu de villégiature appartenant également à Aziz Milad.
     

    Pour en revenir à Aziz Milad, il était ce directeur de la compagnie aérienne Nouvelair, présenté par Alliot-Marie comme une victime du clan Ben Ali alors au pouvoir en Tunisie. 

    " Il aurait  été spolié par Belhassen Trabelsi - beau-frère de Zine Ben Ali - qui lui aurait pris 20% de sa compagnie aérienne, qu'il possédait totalement. Aziz Miled, aujourd'hui en exil au Canada, a retrouvé, après le départ de Ben Ali, la présidence de l'entreprise qu'il avait cédée à Belhassen Trabelsi, signe selon l'entourage de Michèle Alliot-Marie qu'il est plus proche du nouveau régime que de l'ancien." (Reuters)

    La victime Aziz Milad - tout comme le grand Rabbin de Tunisie - appelait pourtant en 2010 son bourreau de Ben Ali à se présenter à l'élection présidentielle de 2014. Il cosignait avec 64 autres personnalités un appel  où l'on pouvait y lire :

    « Nous nous permettons en tant que patriotes, au-delà des classifications politiques et idéologiques, d’appeler le dépositaire de la confiance en toute sincérité, à parachever ce qu’il a accompli, la marche, en dépit de l’immensité de ses acquis, demande encore la vision et le leadership de celui qui a fait montre de ses compétences à réaliser et changer. »

    « La Tunisie,  a encore besoin de vous, de vos visions perspicaces pour la gestion de ses affaires et la conduite de son avenir. C’est pourquoi, nous vous adjurons de vous porter candidat à un nouveau mandat présidentiel à l’horizon 2014. Par cet appel, nous disons oui à la stabilité et à la continuité qui sont à la base de toute action politique réussie. Nous disons oui aussi à davantage de développement, oui à la paix sociale, à l’équilibre de la société, oui à la dignité et à la souveraineté nationale.»

    Et les signataires concluaient ainsi :

    «Toutes les profondes mutations autour de nous et celles à venir soulignent l’indispensable recours pour la Tunisie à un commandement de la taille de celle du Président Zine el Abidine Ben Ali, avec tout son poids et toute sa sagesse. Nous sommes conscients que l’ultime décision demeure la vôtre, mais ce à quoi nous aspirons à travers notre initiative, c’est de nous accorder l’exercice de notre droit à la poursuite de l’espoir et de la confiance dans l’avenir de la Tunisie et celui de son peuple ce qui ne saurait s’accomplir sans la poursuite de votre leadership et de votre action afin de consolider davantage la stabilité, le progrès et la prospérité.»

    Le 20 août 2010, la presse tunisienne aux ordres publiait un autre texte, "l’appel des mille " où un millier de personnalités  développaient avec force éloges fleuris des "arguments" en faveur du " raïs " :

    "En symbiose avec la volonté populaire qui est l’essence même de la Démocratie ; partant du fait que le principe électoral est à la base du régime républicain ; eu égard à l’évolution politique vers le pluralisme et la démocratie, laquelle évolution constitue une plateforme cognitive pour l’alternance au pouvoir dans un climat de concurrence pluraliste ouverte…

    Et compte tenu du rôle historique assumé par le Président Zine El Abidine Ben Ali dans les progrès réalisés par la Tunisie et son accession à des classements mondiaux avancés dans tous les domaines ; eu égard, particulièrement, à son rôle déterminant et avant-gardiste dans l’édification d’une démocratie éclairée assurant à notre pays la stabilité et le développement continu en symbiose avec une contribution populaire large et consensuelle… Et étant convaincus que le Changement, à ce stade de son processus, est encore porteur de vastes horizons et de grandes ambitions pour le pays, ce qui rend nécessaire et impérieuse la permanence de Zine El Abidine Ben Ali aux commandes du projet national tendant à assurer stabilité, quiétude et pérennité à la Tunisie…


    Compte tenu, donc, de ce qui a précédé, nous lançons cet appel à son Excellence le Président Zine El Abidine Ben Ali pour qu’il se porte candidat à la présidentielle de 2014-2019 et pour qu’il continue cette marche commencée avec son peuple. Tout en étant conscients des lourdes responsabilités que cela induit, nous espérons que son Excellence. M. le Président répondra favorablement à cet appel et qu’il répondra à l’appel du devoir pour la Tunisie, pour la préservation de son invulnérabilité, de ses acquis et de ses réussites.

    > La revue du Web de Thomas Cluzel

    Ben Ali et la gauche

    Bertrand Delanoë, alors maire de Paris et toujours natif de Bizerte, confiait en mars 2010  tout le bien qu'il pensait de la Tunisie et de son président : " un pays qui a vraiment enregistré des résultats remarquables sur le plan économique et social, notamment depuis que le Président Ben Ali a pu , à partir de 1987, entamer un certain nombre de réformes." A l'époque il confirmait aussi , grâce à ses dons de visionnaire, que la Tunisie est  " non seulement sur la bonne voie mais elle réussit mieux que les pays comparables et parfois même mieux que des pays dits développés en terme de croissance."

    Il faut dire, à sa décharge, qu'en août 1997, la France de la cohabitation Chirac-Jospin, avec Hubert Védrinne aux Affaires étrangères, confirmait son soutien " au modèle démocratique tunisien " et ses 2000 prisonniers politiques selon Amnesty international. Mais Jospin corrigeait la mauvaise impression que l'on pouvait avoir : "il ne faut pas confondre les temps, il ne faut pas confondre l'attitude qu'on adopte en routine diplomatique face à des États qui sont de toute nature et une proposition extrêmement choquante alors que le peuple s'est mis en mouvement en Tunisie"...

    Mais un lieu parisien porte désormais le nom de Mohamed Bouazizi, en vertu d’une décision prise à l’unanimité par le Conseil de Paris, le 8 février 2011...

    Embarrassé par l'ami gênant, L’Internationale socialiste se décidait enfin , le 11 janvier 2011, d’exclure le parti politique du président tunisien déchu de Ben Ali. L'annonce fut faite dans un communiqué lapidaire sans un mot ni une explication supplémentaire.

     

    Ben Ali et le FMI

    " Officiellement, le rôle du Fonds monétaire international est de « promouvoir la coopération monétaire internationale, de garantir la stabilité financière, de faciliter les échanges internationaux, de contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité économique et de faire reculer la pauvreté ».
    Le FMI fournit des crédits aux pays en difficulté. Mais en contrepartie, il exige des politiques de rigueur, de libéralisation des services publics, de privatisations, de désengagement de l’État, nommés « Plans d’ajustement structurels ».
    Il dispose également d’un rôle de conseil et de formation... pour mener des politiques ultralibérales. Le FMI est dénoncé pour ses actions au niveau international par des centaines d’organisations actives dans les pays du Sud et du Nord. "(M'PEP)

    Éloges de la part de Strauss-Kahn, alors directeur général du FMI, à l'issue de sa visite en Tunisie fin 2008 :

    « C'est avec plaisir que j'ai visité la Tunisie à l'occasion du cinquantième anniversaire de la création de la Banque Centrale de Tunisie. Cette institution, un pilier de la gestion dynamique de l'économie tunisienne, a contribué à l'accélération de la croissance et à la stabilité économique. La crise financière très grave que connaît le monde requiert l'action claire et globale de tous nos pays ainsi qu'une coordination étroite des politiques conduites par chacun d'eux, et le rôle des banques centrales est à cet égard fondamental.

    « Au cours de mon séjour à Tunis, j'ai eu le privilège de rencontrer Son Excellence le Président Ben Ali et le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, M. Taoufik Baccar.

    « Les entretiens que nous avons eus ont témoigné de notre vision commune des réalisations de la Tunisie et de ses principaux défis à relever. Les politiques économiques mises en _uvre par les autorités et leur approche pragmatique des réformes structurelles ont produit des gains sensibles et la crise financière mondiale n'a pas eu d'impact financier direct sur la Tunisie. Dans l'immédiat, le défi principal est de limiter l'impact d'un ralentissement prévu de l'économie mondiale. A moyen terme, la création d'emplois et la croissance du revenu seront déterminantes pour le relèvement du niveau de vie.

    « Nos entretiens ont également confirmé que le programme de réforme de la Tunisie progressait à rythme soutenu et que les perspectives du pays étaient favorables. J'ai félicité les autorités tunisiennes pour la création d'un comité qui suivra les impacts de la conjoncture économique et financière mondiale et prescrira des mesures pour en atténuer d'éventuels effets négatifs sur l'économie tunisienne ainsi que pour la célérité qui a caractérisé l'action de la Banque Centrale de Tunisie dès l'apparition de la crise. J'ai noté la bonne poursuite du renforcement de la situation du secteur bancaire et encouragé les autorités à persévérer dans cette réforme hautement prioritaire, compte tenu de la libéralisation graduelle du compte de capital. J'ai félicité les autorités pour leurs efforts d'avancement de l'intégration régionale qui pourrait potentiellement aider les pays du Maghreb à affronter l'adversité de l'environnement international actuel. » ( Fonds monétaire international : communiqué de presse n° 08/291 (F))

    La Tunisie de Ben Ali, un modèle