Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

psychiatrie

  • Le pot de chambre, forme idéale du cerveau...

    Pin it!

    Luc Mathieu, journaliste du quotidien Libération, ainsi que Cécile Allegra et Delphine Deloget, auteures d'un reportage sur le trafic d'êtres humains dont sont victimes des Erythréens,  ont remporté le prix Albert-Londres 2015.

    Albert Londres - Chez les fous

    En 1925, paraît l’enquête du grand journaliste Albert Londres : Chez les fous.

    " Il se doute qu’en ces esprits emmurés, l’inaudible peut être entendu. Il va mesurer le mensonge de la société française dans la maison des fous. Son obsession : l’enfermement. À peine a-t-il dénoncé le bagne et les pénitenciers, qu’il court, cette fois, le risque de perdre des lecteurs maintenant nombreux à suivre ses chroniques. Toujours très attendues, il les envoie par mille combines depuis le monde entier. Ce sera en France qu’il enquêtera. Point de problème de télégraphe. La plume et la poste suffiront. Le sujet n’intéresse pas ? Il l’écrira quand même ! Le directeur du journal, Le petit Parisien, connaissant son entêtement, n’a qu’un mot à dire : Allez ! C’est l’administration asilaire qui lui refuse l’entrée. La plupart des médecins aliénistes tout-puissants font de même. Une connaissance rencontrée à Salonique lui fait pénétrer l’asile. Il n’y reste pas, il doit encore aller voir ailleurs. Un nouveau tour de France, après le Tour de France à vélo qu’il vient de suivre, le conduit dans d’autres maisons. Il se rend d’abord à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, où travaille le docteur Toulouse. Ce médecin a organisé un service ouvert. Albert Londres se fait passer pour fou : « Vous êtes fou de vous croire fou, puisque vous n’êtes pas fou », lui réplique-t-on. Le voilà immergé ensuite à l’asile Saint-Georges de Bourg-en-Bresse pour voir des « ex-raisonnables ». C’est ensuite dans un quartier « d’agités » dans le Sud-Ouest qu’il se fait embaucher. Il apprend à décoder. Il observe, scrute, épie les comportements des gardiens, des médecins et des pensionnaires. Il interroge. Puis s’en va dans le Midi et découvre que l’asile est une geôle pour tous, y compris pour les personnes qu’on tient éloignées de leur famille sans aucun motif médical. Le docteur Dide, à l’asile Braqueville, lui ouvre les perspectives d’une psychiatrie humaine : la maladie n’est pas un crime. "   Denis Poizat - Chez les fous, hommage à Albert Londres.

    L'armoire aux cerveaux

    Albert Londres, Chez les fous

    3992716853.png Un après-midi, le docteur Dide me dit :

    – Venez voir mon laboratoire.

    Les travaux de ce savant sont célèbres par le monde.

    Au moyen d’une machine perfectionnée, il coupe les cerveaux en tranches minces comme l’on fait du jambon de Parme dans les boutiques italiennes d’alimentation. Il examine ensuite la chose au microscope. De là sortira peut-être la clé de la maladie mystérieuse. Du moins espérons-le.

    Je me promenais donc, respectueusement, dans ce temple de l’avenir, quand, soudain, je tombai en arrêt devant un réduit imprévu. Cent vingt pots de chambre, chacun dans un joli petit casier, ornaient seuls les murs de ce lieu. Aux anses pendaient des étiquettes portant noms d’hommes et de femmes et, en dessous : D. P. (démence précoce). Délire progressif. Confusion mentale, psychoses symptomatiques, lésions circonscrites ; P. G. marche rapide. Épilepsie. Idiotie.

    Ces pots de chambre aussi correctement présentés avaient dans leur air quelque chose de fascinateur.

    – C’est mon armoire à cerveaux, fit Dide.

    Il tira un pot par l’anse : un cerveau nageait dans un liquide serein. Regardant l’étiquette, le savant me dit :

    – C’est Mme Boivin.– 59 –
    – Enchanté !

    Je demeurais en extase devant l’armoire.

    – Parfait ! fis-je, vous avez là de beaux cerveaux, mais pourquoi dans des pots de chambre ?

    Le maître me regarda bien en face et me répondit :

    – Parce que le pot de chambre, monsieur, est la forme idéale du cerveau !"

    Chez les fous.

    londres2.jpg

     

     Albert LONDRES, Chez les fous, récit, 1929
    IX  l'armoire aux cerveaux -

    Ebooks - HTMLPDF | DOC-ODT

    Denis Poizat « "Chez les fous", hommage à Albert Londres », Reliance 1/2006 (no 19), p. 7-8.
    URL : www.cairn.info/revue-reliance-2006-1-page-7.htm.