En 1765, sous le règne de louis XIV, alors que la Bretagne connaît des difficultés économiques importantes, une insurrection paysanne éclate dans la partie occidentale de la province : des paysans bretons se révoltent contre l'imposition de taxes royales et seigneuriales et, plus généralement, contre le poids de la féodalité et des privilèges nobiliaires. Le mouvement, qui menace de s'étendre au reste de la province, entraîne de la part du pouvoir royal une répression impitoyable.
Manipulant l'Histoire, une bande organisée par le patronat breton ultralibéral se réclame aujourd'hui des "Bonnets rouges" et entend se faire passer pour progressiste - voire révolutionnaire !
Par les historiens Alain Croix (Nantes), André Lespagnol (Rennes), Fañch Roudaut (Brest).
Depuis un mois, on assiste à une manipulation de l’histoire de la Bretagne, à un degré rarement atteint. Historiens, nous pensons qu’on ne peut pas dire et écrire n’importe quoi, et en particulier en matière d’histoire : trop d’exemples tragiques nous l’ont rappelé.
Qu’est-ce que « les Bonnets rouges » ?
Nous sommes en 1675, sous le règne de Louis XIV, dans les campagnes de Basse-Bretagne. À un moment où, par ailleurs, de nombreuses villes à l’est de la province, Rennes surtout, connaissent aussi une révolte dite « du Papier timbré ».
Pourquoi cette révolte des Bonnets rouges ? Alors que la Bretagne connaît, pour la première fois depuis près d’un siècle, de sérieuses difficultés économiques, les charges qui pèsent sur les paysans s’alourdissent : versements aux seigneurs surtout, taxes royales aussi, dont la multiplication donne une impression d’accablement fiscal. Ces taxes, réelles (sur le tabac, par exemple) ou imaginaires (l’instauration de la gabelle sur le sel) sont même ce qui met le feu aux poudres.
Organisation exceptionnelle
Les révoltés s’organisent de manière assez remarquable : rédaction de « codes », ancêtres des cahiers de doléances de 1789, élection de députés dotés d’une chemise et d’un bonnet rouge. La mobilisation des troupes pour la guerre de Hollande permet à la révolte de durer quatre mois, chose inouïe dans la France du roi absolu et dans une province réputée pour sa tranquillité.
Sébastien Le Balp
Il est facile d’établir des parallèles avec notre époque, et aussi des différences : l’essentiel n’est pas là.La révolte, en effet, vise tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent être perçus comme des exploiteurs : seigneurs, agents du fisc, clergé même. Les codes paysans réclament la suppression des corvées (seigneuriales surtout), la diminution des prélèvements sur les récoltes (les seigneurs encore, le clergé aussi), et un juste tarif pour divers services du quotidien : les messes et le vin, les actes devant notaire et le tabac…
Ils ne s’en prennent jamais, bien au contraire, à un roi supposé ignorer les abus que connaît son royaume. Cette révolte, qui oppose des paysans bretons à leurs exploiteurs bretons, est avant tout sociale : il est symbolique que le révolté le plus connu, Sébastien Le Balp, soit assassiné par un seigneur, le marquis de Montgaillard.
Légitime colère sociale
Gommer cette fondamentale dimension sociale est un travestissement de l’histoire. Délibérément, certains au moins des animateurs du collectif Bonnets rouges veulent détourner la très légitime colère des victimes (agriculteurs, éleveurs en particulier, salariés d’une partie de l’industrie agro-alimentaire) contre « Paris », responsable de tous les maux. Alors qu’une part essentielle de responsabilité incombe à certains chefs d’entreprise et à certains syndicalistes agricoles qui n’ont pas voulu voir venir l’effondrement d’un modèle économique devenu dépendant de subventions européennes, ou qui l’ont très bien vu venir sans chercher à faire évoluer manières de produire et types de production. Selon une recette éprouvée, ils tentent de détourner une profonde et légitime colère sociale vers « les autres », tous les autres mais pas eux. Avec la connivence de quelques élus.
Manipulation de l’histoire
Nous ne sommes pas les seuls à dénoncer cette escroquerie intellectuelle : syndicats de salariés, désormais unanimes, un syndicat agricole comme la Confédération paysanne, certains partis politiques, certains journalistes, certaines personnalités. Nous voulons leur apporter notre soutien.
Manipuler l’histoire, tomber dans le populisme, n’a jamais aidé à résoudre de vrais problèmes. La preuve en est dans les efforts de récupération du mouvement par l’extrême droite, ce qui devrait faire réfléchir.Oui, il y a de quoi lakaat e voned ruz, « mettre son bonnet rouge », c’est-à-dire piquer une colère noire, selon l’expression imagée du breton. Encore faut-il tourner sa colère vers les vrais responsables.
Alain Croix (Nantes), André Lespagnol (Rennes), Fañch Roudaut (Brest).
Quelques rappels
La dernière grande révolte paysanne en France, celle de Bretagne en 1675, a lieu sous le règne de Louis XIV. Elle démarre dans les villes avec des protestations anti-fiscales ( d’où son nom de révolte du papier timbré ) : Rennes, Nantes, Saint-Malo, Guingamp, Fougères, Dinan, Morlaix seront concernées.
Puis, début juin, elle s'étend aux campagnes de Cornouaille, où elle se transforme en une révolte antiseigneuriale, beaucoup plus radicale, dite des "Bonnets rouges" ou encore "Torreben" ( casse-tête).
En Bretagne les droits seigneuriaux sont très lourds, le système foncier est précaire et les agents de l'État ainsi que la noblesse, à travers les États de Bretagne, ont beaucoup d’intérêts en commun et pressurent la paysannerie.
Comme les requêtes adressées au pouvoir restent sans réponse, La révolte se radicalise un peu plus et la réaction du pouvoir est à la mesure du crime des révoltés : plus de six mille soldats avance de Hennebont vers Quimperlé avec à leur tête le Duc de Chaulnes, surnommé " gros cochon" dans la province et qui commentera son ouvrage de manière imagée et vantarde : “Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids qu'on leur donne”.
Pour l'historien Arthur de la Borderie (1827-1901), qui était loin d'être un révolutionnaire :
“Ce grand déploiement de puissance publique ne servait, avant tout, qu'à recouvrir les entreprises d'une misérable vengeance personnelle… sur ce point, le doute n'est guère possible…. Le premier mobile du duc de Chaulnes fut le désir de se venger de ses propres injures …. Madame la gouvernante, qui avait eu dans l'injure une large part, en voulut une aussi grande dans le plaisir de la vengeance”.
Mme de Sévigné, une femme de cour et amie des "de Chaulnes", écrivait le 16 août 1675 :
" On dit que nos mutins demandent pardon ; je crois qu’on leur pardonnera moyennant quelques pendus. "
puis Le 24 septembre :
" Nos pauvres bas Bretons, à ce que je viens d’apprendre, s’attroupent quarante, cinquante par les champs, et dès qu’ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa : c’est le seul mot de français qu’ils sachent… On ne laisse pas de pendre ces pauvres bas Bretons. Ils demandent à boire et du tabac, et qu’on les dépêche."
Les admirateurs de Mme de Sévigné y voit une marque de sa pitié, mais à lire ses sentiments et réactions vis-à-vis des bas Bretons et de la Bretagne tout au long de sa prose, il est permis d'en douter. Il faut préciser que, outre son éducation et son attachement à sa classe sociale, Mme de Sévigné savait que ses lettres seraient lues, relues et commentées dans les salons et à la cour, ce qui explique le ton souvent ironique et blessant qui vise à mettre les rieurs de son côté.
D'autres réactions et commentaires de l'époque sur cette révolte:
> "Les massacres perpétrés en Bretagne en 1675 par les armées du Roi : un souvenir qui véhicule l'épouvante "- Agence Bretagne Presse
> La Révolte du papier timbré - Wikipedia
Bibliographie :
" Les Bonnets rouges ", collection 10/18 - 1975 : Arthur Le Moyne de La Borderie, La Révolte du Papier Timbré advenue en Bretagne en 1675 - Boris Porchnev, Les buts et les revendications des paysans lors de la révolte bretonne de 1675.
Bretagne du patronat
Là-bas si j'y suis
France-Inter et Là-bas.org
On est Breton ! On est le peuple ! Bonnets rouges et drapeaux bretons ont surgi à la Une, contre l’écotaxe, contre le chômage, contre les charges, contre tous les maux qui assaillent la Bretagne et donc contre Paris et donc contre la France ! À l’origine de ce mouvement, on trouve un collectif de patrons en lutte contre les "contraintes administratives et fiscales" en lien avec l’INSTITUT DE LOCARN, une sorte de DAVOS breton laboratoire de réflexions et centre de formation des élites locales. Réflexion sur l’Europe fédérale, réflexion sur le nationalisme breton... car "le problème de la Bretagne, c’est la France".
> France-inter : Vive la Bretagne libre ! Première partie
> http://www.la-bas.org/
> France-inter : Vive la Bretagne libre ! Deuxième partie
> http://www.la-bas.org/
Vivre, décider et travailler en Bretagne ! Les bonnets rouges n’ont pas seulement manifesté contre l’écotaxe, pas seulement contre la crise, mais aussi pour l’identité bretonne. L’élite des grands patrons bretons se retrouvent à l’Institut de Locarn, un think tank régionaliste en lutte contre l’État français et les "jacobinards". En lien étroit avec le monde politique, bien organisé, doté de fonds conséquents, le "lobby breton" avance ses pions méthodiquement. Mais des voix dissidentes se font entendre...
Leur régionalisme : produit d’appel de leur ultralibéralisme
Le tout nouveau CCIB (Comité de Convergence des Intérêts Bretons) dénonce le " carcan administratif français "... dans ce comité de brimés figure Alain Glon, deuxième fortune de Bretagne, et qui en est d'ailleurs le co-fondateur avec Jacques Bernard, président de Produit en Bretagne¨.: Et pour cesser de pleurer dans les chaumines, on rappellera avec l'Humanité que le goupe Glon, c’est, dans l’agroalimentaire " un chiffre d’affaires, en 2012, de 1,8 milliard d’euros, 4 163 “collaborateurs” (entendez salariés) et 49 sites industriels en France et à l’international. " Miam ! Miam !
Alain Glon est aussi - et surtout - le président de l'Institut de Locarn qui regroupe les principaux des grands industriels de Bretagne qui ont une sainte horreur des contraintes - mais moins des aides publiques et jacobines ( Entre 2003 et 2013, Bruxelles a versé quelque 770 millions d’euros de subventions à la filière avicole.) Un institut éminemment apolitique, comme on le voit, inauguré en 1994 par Yvon Bourges, gaulliste puis président RPR du Conseil Régional de l'époque, et Otto de Habsbourg, proche de l'Opus déï, et membre de la Trilatérale au pouvoir diffus et opaque et où se croisent et s'entrecroisent les dirigeants des multinationales, les gouvernants des pays riches et les partisans du libéralisme économique.
- Le projet de l'Institut de Locarn a été exposé par son fondateur, Joseph Le Bihan, en 1993, sous le titre « Genèse de l'Europe unifiée dans le nouveau monde du XXIe siècle » : la France n'a plus d'avenir ; l’État-nation doit disparaître ; il faut liquider l'éducation nationale, les services publics et surtout les services culturels, en finir avec l'héritage de la Révolution française, syndicalisme, laïcité, et autre boulets : « Nous allons réintégrer cette Europe de la civilisation et de la propreté qui existe déjà en Allemagne, en Suisse et dans certains pays nordiques. " Françoise Morvan
Rien que des hommes de progrès qui veulent en finir avec la République et ses lois contraignantes, surtout celles acquises de haute lutte et qui nous protègent de leurs dérives. Vous avez-dit Code du travail ? conventions collectives ? salaire minimum ?.... vite mon bonnet!
Lakaat e voned ruz : C'est nous qui mettons le bonnet rouge ! rouge et noir de de colère !
Cochon de bonnet rouge
Contre la colère de ses manants affamés qui venaient pour le pendre, le Seigneur est sorti de son château en leur disant "Je suis avec vous, notre ennemi c'est le Roi !". Et tous ensemble se mirent à hurler "À bas le Roi ! Vive notre bon Seigneur !". Et tous, le Seigneur en tête, se mirent en marche, arborant des chapeaux ronds, des drapeaux bleus, des sabots noirs ou des bonnets rouges...
Cette histoire est de partout et de tous les temps. Ainsi, les puissants responsables de L'élevage intensif en Bretagne, soutenus par des subventions publiques depuis des années, réussissent à créer la confusion, en se posant en victimes de la catastrophe économique, humaine et environnementale qu'ils ont engendrée avec l'appui de puissants lobbies industriels et professionnels.
La lutte est en cours mais quelles sont les alternatives ? Aujourd'hui, chez un éleveur de porcs puis avec un aviculteur, qui veulent montrer que des évolutions sont possibles. "
Un reportage d'Anaëlle Verzaux.
Le patronat à la manœuvre
Une Bretagne aux mains des patrons, de l’Église et des notables on n'en veut pas ! Même si c'est au nom et au son du "Vivre, décider et travailler en Bretagne".
Cette " Bretagne ni blanche ni rouge " mais toujours parée d'hermines, de duchesse Anne aux petits sabots, de saint Yves défenseur de la charité bien ordonnée, de label Breton et d'agro-industrie, on sait par expérience ce qu'elle sera : libérale, dérégulée intensive et polluée. La surprise ne sera pas très grande : c'est ce qu'elle est déjà en grande partie.
Quant aux futurs rassemblements de Bretons de souche qui vont "au-delà des divisions entre professions ou sensibilités politiques", laissons-les dans leur au-delà et méfions-nous comme de la peste et du choléra de cette fameuse et fumeuse Union sacrée, qui n'est jamais que le cache-sexe de la réaction et la porte ouverte à la régression sociale.