Écrasante victoire du NON au référendum. À plus de 61%, les Grecs ont signifié leur rejet des propositions des créanciers. Mais à quoi servira concrètement ce référendum, puisque la politique d'austérité était déjà rejetée par le peuple grec ?
En Grèce, le coup d’état de 1967, en pleine crise politique, portait au pouvoir la junte militaire qui gouvernera jusqu’en 1974.
"Son objectif était de réprimer le mouvement de protestation de la classe ouvrière et de prévenir toute tentative d’orienter la politique étrangère de la Grèce vers une neutralité entre l’OTAN et l’Union soviétique. Le coup d’Etat fut dirigé par le colonel George Papadopoulos, un agent de liaison haut placé de la CIA, qui supervisa l’arrestation d’au moins 10.000 adversaires politiques dont un grand nombre furent torturés ou tués." Jacques Lantier WSWS
La crise grecque est une guerre lancée contre ce qu’il reste de souveraineté à cet État.
"L’austérité exigée par les créanciers de la Grèce est de loin plus importante que la dette elle-même. Faire reconnaître la supériorité des exigences des firmes transnationales revient à renier la démocratie et les besoins humains du peuple. Il s’agit ni plus ni moins d’une exigence de « reddition »." Liliane Held-Khawam
"La bifurcation grecque"
par Cédric Durand / Contretemps
Dans cet article, Cédric Durand analyse sur le vif l'écrasante victoire du Non au référendum organisé hier en Grèce. Comme il le montre, cette victoire rouvre le "chapitre des bifurcations" – pour reprendre la belle formule de Blanqui – que les classes dominantes européennes avaient pris tant de soin de refermer, et impose de nouveaux défis à Syriza.Cédric Durand est économiste, maître de conférences à l'université Paris-13 et membre des Economistes attérés. Il est notamemnt l'auteur de Le capital fictif (2014) et a dirigé l'ouvrage collectif En finir avec l'Europe (La Fabrique, 2013).
Quelle claque ! Toute la semaine nous avons vu les eurocrates tremblant de rage devant l’audace d’Alexis Tsipras. En appeler au peuple contre les exigences des créanciers ? C’était plus que malséant. Une trahison pour le président de la commission Jean-Claude Juncker. Angela Merkel, François Hollande, Matteo Renzi chacun à leur tour ont enjoint les électeurs grecs de dire oui à l’Europe néolibérale. Ulcéré, Martin Schultz, le président social-démocrate du Parlement européen en appelle à la constitution d’un gouvernement technocratique. Moins émotifs, depuis Francfort, les banquiers centraux ont organisé l’asphyxie financière, forçant le gouvernement à limiter les retraits et à mettre en place un contrôle des capitaux. Les médias grecs privés, les fédérations patronales, le principal syndicat grec et la Confédération européenne des syndicats ont mis tout leur poids dans la balance pour défaire la volonté de résistance du peuple et faire tomber le Syriza. Pour ces forces c’est plus qu’un échec, c’est une humiliation politique, la fin d’une mascarade sur l’irrévocabilité de l’acquis des classes dominantes européennes.
Le résultat est sans appel. Organisé en 8 jours sans la moindre anicroche – on saluera l’efficacité des fonctionnaires grecs –, le score du Non est limpide : avec 61% de votes contre l’austérité, le pays s’est très majoritairement rassemblé contre l’Europe néolibérale. Ce résultat qui dépasse de loin toutes les projections fonde la victoire magnifique d’un peuple qui refuse d’obérer plus longtemps son avenir, d’un peuple qui surmonte la peur et rouvre le champ des possibles pour lui-même et pour le continent.
Les effets de cette victoire vont longtemps résonner dans l’histoire européenne. Pour la première fois, le petit jeu bruxellois de la grande coalition permanente entre le centre-droit et le centre-gauche vole en éclat. Deux légitimités à l’état pur se sont affrontées : celle de la démocratie du peuple souverain et celle des règles bureaucratiques patiemment sédimentées par les forces du capital transnational et de la finance. C’est un exemple pour tous les Européens, la démonstration vivante que leurs dirigeants peuvent impulser d’autres choix pour peu qu’ils en aient le courage.
Une conséquence très immédiate du résultat de dimanche est de dramatiquement rapprocher l’horizon d’une sortie de l’Euro de la Grèce. Le mandat donné à Alexis Tspiras est sans ambiguïté. Il ne peut pas revenir à Athènes avec un deal qui se résumerait à accepter un nouveau memorandum en échange d’une restructuration de la dette. La droite du gouvernement qui s’était opposée à l’idée du referendum n’est décemment pas en position d’avancer ses pions et le gouvernement n’aurait de toute façon pas de majorité au parlement, ni dans le pays, pour voter un nouveau diktat. Dans le camp des créanciers les choses ne sont guère plus ouvertes. La méthode Merkel de gestion de la crise européenne débouche sur une impasse. Elle ne peut sauver l’intégrité de l’Euro sans remettre en cause le noyau dur de son fonctionnement, à savoir l’absence de transferts financiers entre pays et des mécanismes d’ajustements reposant exclusivement sur les salaires et les dépenses publiques. On n’imagine pas une telle volte-face. Pas plus qu’il ne semble raisonnable de penser que François Hollande peut renverser la table. Certes, le gouvernement américain effaré par l’incurie des dirigeants européens va tout faire pour imposer un compromis, d’ultimes tractations vont avoir lieu, mais la mécanique enclenchée semble désormais presque inéluctable. Les banques grecques n’ont que 24h de liquidités dans leur coffres et si la BCE ne rouvre pas le robinet – ce qu’elle ne peut formellement pas faire sans accord financier plus large – elles vont se retrouver en faillite très prochainement. Le gouvernement grec serait alors contraint d’intervenir, en créant sous une forme ou sous une autre une nouvelle monnaie.
Le plébiscite d’Athènes est sur le point de faire bifurquer le continent. Mais ce Non n’est encore qu’une promesse qui doit s’actualiser. S’il refuse de céder aux ultimes pressions de ses créanciers, le gouvernement Syriza va devoir se doter dans les jours qui viennent d’outils qui lui permettront de briser l’éternel présent du néolibéralisme. A l’avant-garde des peuples européens, les Grecs s’apprêtent à écrire une nouvelle page de l’histoire de l’émancipation humaine. Leurs victoires seront nos victoires.
> "La bifurcation grecque", par Cédric Durand / Contretemps
> Lire aussi : Suspension de la démocratie à la faveur de la crise. Vers un césarisme européen / par Cédric Durand et Razmig Keucheyan, novembre 2012
Ironie grinçante, encouragement ou épitaphe ? L’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne, le 12 octobre dernier, peut susciter la perplexité quand, au même moment, la Banque centrale européenne et la Commission de Bruxelles mènent une guerre budgétaire contre plusieurs pays membres. Ce choix appelle en tout cas une réflexion sur la nature du régime politique de l’Union.
.
*
"Le courage des Grecs"
par Benito Perrez, Le Courrier
Le «non» était attendu mais pas avec une telle ampleur. Plus de 61% des votants et tous les districts du pays ont rejeté le plan d’austérité exigé par les créanciers de la Grèce. La folle semaine imposée au peuple hellène n’a fait que renforcer sa détermination à prendre une autre voie. Cinq mois après le succès de Syriza, les Grecs ont une nouvelle fois dit «non» à un avenir qui se dessinerait dans l’appauvrissement du plus grand nombre et le démantèlement de l’Etat et des solidarités sociales.
L’écart – quelque 23 points – est impressionnant au vu des moyens qui ont été employés pour faire plier la résistance. A commencer par la soudaine fermeture des banques grecques imposée par la Banque centrale européenne et les menaces répétées d’expulsion de la Grèce de l’eurozone en cas de victoire du «non». Une «stratégie du choc» que le ministre des Finances grec n’a pas hésité à qualifier de «terrorisme» samedi dans «El Mundo».
En Grèce même, d’innombrables pressions patronales ont été signalées par des salariés, appelés à choisir entre voter «oui» ou voir leur salaire diminuer. Pas moins graves, les prises de position de hauts-gradés de l’armée en faveur du «oui», dans un pays qui était encore dirigé par une junte militaire il y a quarante ans.
Cette dramatisation, les médias grecs et européens y ont largement contribué. Soutenant massivement le «oui», ils ont braqué leurs téléobjectifs sur ces pauvres retraités condamnés par la faute du gouvernement à faire la queue pour toucher leur retraite… en occultant bien sûr qu’un «oui» amaigrirait encore ce pécule. De sondages bidon en articles tendancieux, les télévisions et radios grecques n’ont reculé devant aucune forfaiture. Prouvant que les grands médias européens n’ont rien à envier à leurs confrères latino-américains quand il s’agit de servir une oligarchie et tenter de déstabiliser un gouvernement qui leur déplaît.
Le soudain stoïcisme des Grecs devant les menaces n’est d’ailleurs pas sans rappeler ce début des années 2000 quand l’Amérique latine osa prendre un autre chemin, qu’on lui prédisait apocalyptique. Lorsque le chantage à la bourse de Sao Paulo ne put plus empêcher Lula d’atteindre la présidence du Brésil au quatrième essai! Lorsque l’Argentine et l’Équateur refusèrent de rembourser leur dette sans se retrouver à l’âge du troc. Quand les Boliviens portèrent le Mouvement vers le socialisme au pouvoir, sourds aux pronostics du retour à l’inflation galopante.
Comme naguère en Amérique latine, l’échec patent, concret, des politiques néolibérales et leurs conséquences dramatiques pour la majorité ont eu raison des loyautés politiques traditionnelles et redonné leur liberté aux électeurs. A ce sentiment «de n’avoir rien à perdre», Syriza a su offrir des perspectives, une espérance. Depuis cinq mois, le gouvernement d’Alexis Tsipras, avec un redoutable mélange d’inflexibilité et de pragmatisme, a créé un rapport de confiance, de franchise avec la majorité des Grecs. Au-delà des frontières grecques, il a ouvert les yeux de millions d’Européens sur les présupposés idéologiques et les méthodes antidémocratiques qui président aux destinées continentales. Quel que soit le chemin que devra emprunter la Grèce demain – défaut, Grexit ou accord de restructuration – l’Europe n’est déjà plus la même depuis dimanche soir."
> "Le courage des Grecs", par Benito Perrez, Le Courrier
*
Nos Guignols de l'info
Jean Quatremer, Arnaud Leparmentier... pas drôles mais risibles. Extrait de "Couverture médiatique du référendum en Grèce : le meilleur du pire" par ,
Boule de cristal
Il y a d’abord eu LE tweet visionnaire, le 27 juin, de ce très grand connaisseur de la Grèce qu’est Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles :
Aucun doute : les « sources » de Jean Quatremer sont fiables.
Presque autant que les sources d’Arnaud Leparmentier, du Monde, qui a eu lui aussi des illuminations (...):
On vous le dit : visionnaires.
> "Couverture médiatique du référendum en Grèce : le meilleur du pire" par Julien Salingue ( Acrimed)
> Lire aussi : Quand les médias dominants boutent la Grèce hors d’Europe, par , le 6 juillet 2015 (Acrimed)
"À l’occasion d’un référendum que beaucoup d’éditocrates ont considéré comme « dangereux », force est de constater que se sont multipliés, avant le scrutin, les tribunes, analyses et autres partis pris afin que « la raison » et « le bon sens » l’emportent (forcément synonyme de « oui » ) ; et pour ce faire, tous les raccourcis sont bons, comme celui qui consiste à distinguer « la Grèce » ou « les Grecs » d’une part, et « l’Europe » ou « les Européens » de l’autre. Au prix d’une regrettable confusion entre une aire géographique, une union politique (remontant à 1981 dans le cas particulier) et une union strictement monétaire ayant moins de 15 ans, le peuple grec et ses dirigeants se voient marginalisés sinon ostracisés sur la scène européenne, renforçant ainsi le point de vue des « vrais Européens » qui s’élèvent contre les « mauvais payeurs » grecs, décidément « irresponsables ». Illustration exemplaire et visuelle de ces approximations sémantiques qui portent à conséquence."