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révolution française

  • 4 août 1789 : la nuit des dupes

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    " Nos philosophes répondent que les pauvres, qui dorénavant prendront tout, ne demanderont plus rien. Mais où trouveront-ils de quoi prendre, à moins d'un massacre général "

    Rivarol

    3992716853.pngIl n'est pas douteux que quelques zélateurs de Jean-Jacques et de la révolution d'Amérique n'aient eu le projet, dès le début, d'anéantir les ordres et de donner pour tout appui au trône des formes et des principes démocratiques. On appelle cela une conjuration ; mais malgré le succès inespéré de ces tentatives, on aperçoit plutôt des conjurés qu'une conjuration. On ne sait comment, sans plan, sans but déterminé, des hommes divisés par leurs intentions, leurs mœurs, leurs intérêts, ont pu suivre la même route, et arriver de concert à une subversion totale."

    Mémoires du constituant Pierre-Victor Malouet

    4aout.jpg

    Dessin de Monnet, gravé par Helman

    La séance historique, devenue légendaire, avait pourtant  commencé  par l’examen d’un décret visant à restaurer l’ordre et la loi en France.

    La Grande Peur poussait en effet les campagnards frappés par la disette à piller les châteaux, à brûler les documents où étaient consignés les droits féodaux et, plus généralement, à toucher aux intérêts de la noblesse et  à ceux de la bourgeoisie.

    Tout ceci incitait les députés à défendre la propriété soit par la force soit par des concessions.  Dans un premier temps il s'agissait de rappeler au peuple le respect dû à une légalité devenue toute théorique.

    La force
    - Protéger le droit sacré de la propriété -

    3992716853.png L'Assemblée nationale, considérant que, tandis qu'elle est uniquement occupée d'affermir le bonheur du peuple sur les bases d'une constitution libre, les troubles et les violences qui affligent  les différentes provinces, répandent l'alarme dans les esprits, et portent l'atteinte la plus funeste au droit sacré de la propriété et de la sûreté des personnes ;

     Que ces désordres ne peuvent que ralentir les travaux de l'Assemblée et servir les projets criminels des ennemis du bien public;

     Déclare que les lois anciennes subsistent et doivent être exécutées , jusqu'à ce que l'autorité de la nation les ait abrogées ou modifiées ;

     Que les impôts, tels qu'ils étaient, doivent continuer d'être perçus aux termes de l'arrêté de l'Assemblée nationale du 17 juin dernier, jusqu'à ce qu'elle ait établi des contributions et des formes moins onéreuses au peuple ;

     Que toutes les redevances et prestations accoutumées doivent être payées comme par le passé , jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par l'Assemblée;

     Qu'enfin les lois établies pour la sûreté des personnes et pour celle des propriétés, doivent être universellement respectées.

    La présente déclaration sera envoyée dans toutes les provinces , et les curés sont invités à la faire connaître à leurs paroissiens , et à leur en recommander l'observation. "

    Les concessions
    - Faire céder des intérêts particuliers à l'intérêt général -

    Puis, au cours des débats,  deux représentants de la haute aristocratie - le vicomte de Noailles, seigneur ruiné, et le richissime duc de l'Aiguillon - proposèrent, pour ramener le calme dans les provinces, d'en finir avec les droits seigneuriaux et d’instaurer un impôt proportionnel aux revenus. La veille, l'un et l'autre avaient déjà fait savoir qu'ils renonçaient  à leurs droits féodaux. Le vicomte de Noailles prit la parole, secondé par le duc de d'Aiguillon - ainsi que le rapporte le Moniteur, rédigé au mois de novembre 1789 :

    3992716853.pngComment l'établir, ce gouvernement ? Par la tranquillité publique. Comment l'espérer, cette tranquillité ? En calmant le peuple, en lui montrant qu'on ne lui résiste que dans ce qu'il est intéressant pour lui de conserver. Pour parvenir à cette tranquillité si nécessaire, je propose :

    1. Qu'il soit dit, avant la proclamation projetée par le comité, que les représentants de la nation ont décidé que l'impôt sera payé par tous les individus du royaume, dans la proportion de leurs revenus ;
    2. Que toutes les charges publiques seront à l'avenir supportées également par tous ;
    3. Que tous les droits féodaux seront rachetables par les communautés, en argent, ou échangés sur le prix d'une juste estimation , c'est-à-dire d'après le revenu d'une année commune, prise sur dix années de revenu ;
    4. Que les corvées seigneuriales, les mains-mortes et autres servitudes personnelles seront détruites sans rachat.

    A l'instant un autre député noble, M. le duc d'Aiguillon, propose d'exprimer avec plus de détail le vœu formé par le préopinant ; il le conçoit ainsi : 

    3992716853.png Messieurs, il n'est personne qui ne gémisse des scènes d'horreur dont la France offre le spectacle. Cette effervescence des peuples, qui a affermi la liberté lorsque des ministres coupables voulaient nous la ravir, est un obstacle à cette même liberté dans le moment présent, où les vues du gouvernement semblent s'accorder avec nos désirs pour le bonheur public.
    Ce ne sont point seulement des brigands qui, à main armée, veulent s'enrichir dans le sein des calamités : dans plusieurs provinces, le peuple tout entier forme une espèce de ligue pour détruire les châteaux, pour ravager les terres, et surtout pour s'emparer des chartriers, où les titres des propriétés féodales sont en dépôt.
    Il cherche à secouer enfin un joug qui, depuis tant de siècles, pèse sur sa tête; et il faut l'avouer, messieurs, cette insurrection, quoique coupable (car toute agression violente l'est), peut trouver son excuse dans les vexations dont il est la victime. Les propriétaires des fiefs, des terres seigneuriales, ne sont, il faut l'avouer, que bien rarement coupables des excès dont se plaignent leurs vassaux ; mais leurs gens d'affaires sont souvent sans pitié et  et le malheureux cultivateur, soumis au reste barbare des lois féodales qui subsiste encore en France, gémit de la contrainte dont il est la victime.
    Ces droits, on ne peut se le dissimuler, sont une propriété , et toute propriété est sacrée ; mais ils sont onéreux aux peuples, et tout le monde convient de la gène continuelle qu'ils leur imposent.

    La Nuit du 4 août. Réimpression de l'ancien Moniteur

    3992716853.pngAu cours de la séance -  qui dura jusqu'à 3 heures du matin - il n'est pas impossible non plus que " dans une situation de crise, les dynamiques propres de l’assemblée ont pu entraîner des députés à adopter des positions révolutionnaires qui, quelques semaines auparavant, leur auraient paru totalement inconcevables."(Laurent Bonelli)

    - Lâcher le superflus, conserver l'essentiel -

    Ce que certains appelèrent la "nuit des sacrifices" -  que d'autres appelèrent "la nuit des dupes",  la "Saint-Barthélémy des propriétés" ou encore " l'orgie législative " - fut , au départ, une tentative pour  ramener le calme dans les provinces et empêcher l'incendie de se propager et de réduire en cendre la monarchie elle-même.

    Passé le moment d'euphorie,  les députés décideront  que seuls les droits féodaux pesant sur les personnes seront abolis sans indemnité (ce qui était le cas notamment pour la  dîme) tandis que d'autres devront être rachetés (comme  les cens et les champarts ). Les décrets ne seront rédigés que le 11 août et Louis XVI sera contraint d'accorder sa sanction  le 5 octobre 1789.

    Dans la nuit du 4 août 1789 disparaissait une ancienne France, déjà  moribonde, fondée sur les  structures archaïques de la féodalité. L'aristocratie laissait la place à la bourgeoisie. Et si les privilèges exorbitants étaient abolis, le patrimoine restait intact.

    Depuis de nombreuses années, l'abolition des privilèges est devenue synonyme d'attaque en règle des acquis sociaux.

    *

    Antoine Rivarol - extrait du Journal

    Rivarol, essayiste et pamphlétaire, condamnera cette révolution qu'il ne comprenait pas : " Je ne crains pas de le dire, dans cette Révolution tant vantée, princes du sang, militaires, députés, philosophes, militaires, tout a été mauvais, jusqu'aux assassins." Rivarol émigrera et mourra en exil à Berlin.

    3992716853.pngCe fut la nuit du 4 août que les démagogues de la noblesse, fatigués d'une longue discussion sur les droits de l'homme, et brûlant de signaler leur zèle, se levèrent tous à la fois, et demandèrent à grands cris les derniers soupirs du régime féodal. Ce mot électrisa l'Assemblée. (...)

    Le feu avait pris à toutes les têtes. Les cadet si de bonne maison, qui n'ont rien, furent ravis d'immoler leurs trop heureux aînés sur l'autel de la patrie; quelques curés de campagne ne goûtèrent pas avec moins de volupté le plaisir de renoncer aux bénéfices des autres : mais ce que la postérité aura peine à croire, c'est que le même enthousiasme gagna toute la noblesse ; le zèle prit la marche du dépit ; on fit sacrifices sur sacrifices : et comme le point d'honneur chez les Japonais est de s'égorger en présence les uns des autres, les députés de la noblesse frappèrent à l'envi sur eux-mêmes , et du même coup sur leurs commettants.

    Le peuple, qui assistait à ce noble combat, augmentait par ses cris l'ivresse de ses nouveaux alliés ; et les députés des communes, voyant que cette nuit mémorable ne leur offrait que du profit, sans honneur, consolèrent leur amour-propre, en admirant ce que peut la noblesse entée sur le tiers-état. Ils ont nommé cette nuit la nuit des dupes ; les nobles l'ont nommée la nuit des sacrifices. (... )  et tous ces noms, jadis si obscurs, qui enrouent aujourd'hui la renommée, ont fait du bruit sans acquérir de la gloire : car le bruit ne chasse pas l'obscurité, mais la gloire est comme la lumière. Il n'y a donc de mémorable dans l'Assemblée que l'Assemblée même.

     

     04/08/201

  • 14 juillet 1789

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    La Bastille, sombre château gothique, avait pour corollaire le lumineux Versailles où, en ce  14 juillet, Louis XVI notait  scrupuleusement dans son journal  : "Rien"... Mais il ne s'agissait pour lui que du résultat de la chasse. 
    La reddition de ce symbole du despotisme, de l'arbitraire et de la tyrannie fera l’effet d’un séisme  en France comme en Europe. Sa prise et sa destruction marqueront symboliquement le début de la Révolution française.

    Prise_de_la_Bastille.jpg

    "C'est ainsi que commença la Révolution. Le peuple remportait sa première victoire. Il lui fallait une victoire matérielle de ce genre. Il fallait que la Révolution soutînt une lutte et qu'elle en sortît triomphante. Il fallait que le peuple prouvât sa force, afin d'imposer à ses ennemis, de réveiller les courages en France, et de pousser partout à la révolte, à la conquête de la liberté."
    Pierre Kropotkine
     
    Le 21 mai 1880, le député Benjamin Raspail  déposait  le projet de loi suivant : " La République adopte comme jour de Fête nationale annuelle le 14 juillet ". La loi était promulguée le 6 juillet. La fonction première de cette commémoration nationale - qui intronisait également le culte de Marianne - fut  d'assurer la cohésion nationale et de fêter le relèvement patriotique de la France. Suite à la capitulation de Napoléon III, puis à l'armistice, la signature du Traité de Francfort du 10 mai 1871 avait consacré l'annexion par l'Allemagne d'une partie de l'Alsace et de la Lorraine.
     

    *

    > "Histoire de la Révolution de France..." François-Marie Périchou, 1792 - ( Le chapitre XVII est consacré à la prise de la Bastille, une journée de confusion et de fureur.)
    > "De l'insurrection parisienne, et de la prise de la Bastille...-  Jean Dusaulx - 1790.  (voir " l'œuvre des sept jours"  ou "notice ", la partie consacrée aux évènements qui se déroulèrent du 12 au 18 juillet 1789 ).

    > La Grande Révolution (1909) de Pierre Kropotkine ( 1842-1921),  Les faits racontés par un historien  russe et communiste libertaire,  au début du XXème siècle - Chapitre XII - "La prise de la Bastille"
     
    > Bilan et Perspectives, Léon Trotsky  3. 1789-1848-1905 - Marxists.org
     
  • Tricoteuses & Pétroleuses

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     " Je veux dire la haine farouche, furieuse, grossière, des gens de l'Ordre : la Mégère , la Pétroleuse , le Monstre à face humaine , tels sont les noms que plusieurs générations de bourgeois ont mis à coté de son nom ".

    Henri Barbusse à propos de la communarde Louise Michel.

    Tricoteuses et pétroleuses - et leurs variantes - sont des figures négatives et fantasmées de la femme publique et constitue un modèle standard du fanatisme et de la furie populaire associés à la gauche :

    « Mais ordinairement, quand le despotisme populaire ne s’exerce que sur la minorité royaliste, elle laisse opprimer ses adversaires et ne se croit pas atteinte par les violences qui assaillent le côté droit : ce sont des ennemis, on peut les livrer aux bêtes. Là-dessus, le côté gauche a pris ses dispositions ; son fanatisme n’a pas de scrupules ; il s’agit des principes, de la vérité absolue ; à tout prix, il faut qu’elle triomphe. D’ailleurs peut-on hésiter à recourir au peuple dans la cause du peuple ? Un peu de contrainte aidera le bon droit (....) »

     

    Tricoteuse
    Révolution française

    den49_lesueur_001i.jpgLa tricoteuse est l'image répulsive de la femme du peuple qui suit les débats des assemblées de  la Révolution française. Bien avant,  le terme de "tricoteuse" est déjà employé comme insulte par les femmes du peuple parmi d'autres ayant rapport à la prostitution. Ce n'est qu'assez tardivement, en 1794-1795, au moment d'affrontement très dur entre les sans culottes et les modérés et dans lequel les femmes jouent un rôle primordial que se précise l'image des tricoteuses qui,  assimilées aux « Jacobines » ou aux « habituées des tribunes », seront associées au sang et à la mort.

    La tricoteuse est décrite le plus souvent en groupe de harpies, tricotant et apostrophant les législateurs d'une voix aigre ou enrouée durant les séances de la Convention; tricotant encore derrière la charrette des condamnées à mort qu'elle accompagne à l'échafaud - tricotant toujours - au  pied de la guillotine. Et si elle interrompt un instant son ouvrage, c'est  pour mieux tremper son mouchoir dans le sang du guillotiné - quand elle ne se venge pas sur son cadavre, comme Aspasie Carlemigelli que l'on dit avoir foulé aux pieds le député Féraud.

    Lacretelle (1766-1855), dans Dix ans d'épreuves, décrit ainsi, dans les premiers mois de 1790, sa vision des mégères associées à une populace stipendiée.

    « C’était vers minuit, et sous les pluies, les frimas, les neiges et un froid piquant, que nous allions près de l’église des Feuillants retenir des places pour les tribunes de l’Assemblée que nous ne devions occuper qu’à midi le jour suivant. Il fallait de plus les disputer à une foule qu’animaient des passions et même des intérêts fort différents des nôtres. Car nous ne tardâmes pas à nous apercevoir qu’une grande partie des tribunes était salariée et que les scènes cruelles qui faisaient notre désolation faisaient leur joie. Je ne puis dire quelle était mon horreur, lorsque j’entendais ces femmes, que depuis l’on a appelées tricoteuses, savourer les doctrines déjà homicides de Robespierre, se délecter de sa voix aigre, et couver des yeux sa laide figure, type vivant de l’envie. » 

    Tricoter, passe encore, mais chez soi, sous le toit familial. Dans l'espace public le  tricot est  perçu sous l'angle de ses aiguilles qui sont des armes à peine dissimulées.
    « Je ne connais que la déesse de la Raison dont les couches, hâtées par des adultères, aient eu lieu dans les danses de la mort. Il tombait de ses flancs publics des reptiles immondes qui ballaient à l'instant même avec les tricoteuses autour de l'échafaud, au son du coutelas, remontant et redescendant, refrain de la danse diabolique.»   Chateaubriand - Mémoires d'Outre-tombe.

    > " La « Tricoteuse » : formation d’un mythe contre-révolutionnaire". Par Dominique Godineau, CERHIO UMR 6258 Université de Rennes II (sur le site http://revolution-francaise.net/ )

    > " Les tricoteuses pendant la Révolution française". Par Charlotte Denoël, sur le site "l'Histoire par l'image"

    > " Le féminisme pendant la Révolution française"  L. Devance  Annales historiques de la Révolution française - 1977

    Pétroleuse
    Commune de Paris

    til9_lix_001i.jpgUn siècle plus tard, à peine, La pétroleuse, est le nom donné par la bourgeoisie et les journaux versaillais aux femmes du peuple qui, dans les derniers jours de la Commune de Paris, durant la " Semaine sanglante", auraient  allumé des incendies : celui des Tuileries, de l'Hôtel de ville, de la Cour des comptes, du Palais Royal.  Incendies des symboles du Pouvoir qui équivaut pour la bourgeoisie à l'incendie du Pouvoir.

    L’imagerie anticommunarde colporte rapidement dans la presse  le mythe de la rouge incendiaire munie de  sa  "boîte " ou de sa " bouteille" de pétrole. Dans l'imaginaire français rien n'est pire qu'une femme révolutionnaire, qu'une femme qui s'écarte du droit chemin de la conservation de l'ordre établi, de la perpétuation de l'espèce et de l'éducation des enfants.

    La "Pétroleuse", descendante de la "Tricoteuse", est encore un fantasme misogyne, mais les femmes qui seront accusés d'être des pétroleuses en paieront le prix fort en étant déportées - voire fusillées sur le champ.

    >"Le mythe de la Pétroleuse". Par Bertrand Tillier, le site l'Histoire par l'image.

    >  "On les disait " pétroleuses". Par François Bodinaux, Dominique Plasman, Michèle Ribourdouille. ( format PDF

    Dessin de Cham dans Les folies de la Commune

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    - Je faisais sortir les locataires avant.
    - Moi pas, c'était plus animé

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     - M'sieu, vous ne pourriez-pas me donner un peu de pétrole ? Papa qu'était gris, a bu celui qu'on m'avait donné pour mettre le feu.