18 mars 1871 : déclenchement de la Commune de Paris.
Septembre 1870, l'armée française est détruite, prisonnière ou sur un autre front : Napoléon III n'est plus que l'ombre de lui-même. Tout repose alors sur un gouvernement de faillis. Pour se sortir d'affaire, il n'y a que la foi qui sauve : " Vive Trochu, il a un plan !"
De ce Trochu, " Breton, catholique et soldat », comme il se définit lui-même, l'amiral La Roncière-Le Noury dresse ce portrait peu flatteur : " Ce bon Trochu n'est pas même pour la défense de Paris seul. Là où il fallait un homme d'une rapidité et d'une énergie excessives, on a un homme qui a pour base la temporisation et la manie de discourir. Tout cela est très bien en temps de paix, mais à l’heure qu'il est !" Et encore : " Trochu n'est pas. Il ne signe pas grand-chose : il se laisse entraîner dans le torrent."
C'est à Hugo d'enfoncer le clou et de faire en sorte que Trochu passe à la postérité.
" Trochu, participe passé du verbe Trop Choir...
De toutes les vertus sans nombre dont la somme
Est zéro, soldat brave, honnête, pieux, nul,
Bon canon, mais ayant un peu trop de recul,
Preux et chrétien, tenant cette double promesse,
Capable de servir son pays et la messe... "
Napoléon III et le général Trochu
Le 4 septembre 1870, suite à la capitulation de l’armée française à Sedan et à la captivité de Napoléon III, des manifestants parisiens envahissent l’Assemblée nationale et empêchent le Corps législatif de délibérer. A l'hôtel de Ville de Paris la République est proclamée.
Le général de division Trochu, devenu président du gouvernement de la Défense nationale, est contraint de démissionner après la bataille de Buzenval du 19 janvier 1871 - une tentative pour forcer le blocus de l'armée prussienne qui fut un échec.
Le 28 janvier 1871, dix jours après la proclamation de l’Empire allemand à Versailles, l'armistice est signé. Le 26 février 1871 c'était au tour du traité de paix préliminaire, confirmé par la Paix de Francfort du 10 mai : l'Alsace et une partie de la Lorraine sont annexées au nouvel Empire allemand à qui la France s'engage à payer une indemnité de guerre de cinq milliards de francs or.
" La Commune est née d’une double crainte : celle de l’entrée des troupes prussiennes dans Paris et celle d’une réaction monarchique consécutive aux élections législatives de février 1871. « Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques (3) », annonce un communiqué le 21 mars. Animés d’une passion démocratique, du souvenir du droit à l’insurrection proclamé par la Constitution de 1793 et d’une ferme volonté de résoudre la question sociale, différents groupes issus du peuple parisien vont inventer au jour le jour une forme institutionnelle inédite. " Christophe Voilliot
Dans La Guerre civile en France, Karl Marx présente ainsi ce gouvernement d'imposteurs et de parvenus où l'on trouve Adolphe Thiers, futur massacreur de la Commune :
" Le gouvernement de la Défense nationale n'hésita pas un instant : il se transforma en un gouvernement de la Défection nationale. La première mesure qu'il prit fut d'envoyer Thiers en tournée par toutes les cours d'Europe pour y implorer médiation, moyennant le troc de la république contre un roi. Quatre mois après le début du siège, quand on crut venu le moment opportun de lâcher pour la première fois le mot de capitulation, Trochu, en présence de Jules Favre et de quelques-uns de ses collègues, harangua en ces termes les maires de Paris assemblés :
La première question que m'adressèrent mes collègues le soir même du 4 septembre fut celle-ci: Paris peut-il, avec quelque chance de succès, soutenir un siège et résister à l'armée prussienne ? Je n'hésitai pas à répondre négativement. Quelques-uns de mes collègues qui m'écoutent peuvent certifier que je dis la vérité et que je n'ai pas changé d'opinion. Je leur expliquai, en ces mêmes termes, que, dans l'état actuel des choses, tenter de soutenir un siège contre l'armée prussienne serait une folie. Sans doute, ajoutai-je, ce serait une folie héroïque, mais voilà tout... Les événements [qu'il avait lui-même conduits (K. M.)] n'ont pas démenti mes prévisions. "
Ce charmant petit discours de Trochu fut publié dans la suite par M. Corbon, un des maires présents.
Ainsi, au soir même de la proclamation de la république, le « plan » de Trochu, ses collègues le savaient, c'était la capitulation de Paris. Si la défense nationale avait été quelque chose de plus qu'un prétexte pour le gouvernement personnel de Thiers, Favre et Ciel les parvenus du 4 septembre auraient abdiqué le 5, ils auraient mis le peuple de Paris au courant du « plan » de Trochu ; ils l'auraient mis en demeure de se rendre sur l'heure, ou je prendre en main son propre sort.
Mais au lieu de cela, les infâmes imposteurs résolurent de guérir la folie héroïque des Parisiens : on leur ferait subir un régime de famine, on leur ferait casser la tête et on les bernerait entre-temps par des manifestes tapageurs : « Trochu, le gouverneur de Paris, ne capitulera jamais »; Jules Favre, ministre des Affaires étrangères, ne cédera « pas un pouce de notre territoire ! Pas une pierre de nos forteresses !» Dans une lettre à Gambetta, ce même Jules Favre, précisément, avoue que ce contre quoi ils se « défendaient», ce n'étaient pas les soldats prussiens, mais les travailleurs de Paris. Pendant toute la durée du siège, les coupe-jarrets bonapartistes, à qui Trochu avait sagement confié le commandement de l'armée de Paris, échangèrent, dans leur correspondance intime, de grasses plaisanteries sur cette bonne farce de la défense. (...)Le masque d'imposture fut enfin jeté le 28 janvier 1871. Mettant un véritable héroïsme à s'avilir jusqu'au bout, le gouvernement de la Défense nationale apparut dans la capitulation de Paris comme le gouvernement de la France par la permission de Bismarck, rôle si vil, que Louis Bonaparte lui-même, à Sedan, s'y était refusé avec horreur. Après les événements du 18 mars, dans leur fuite éperdue à Versailles, les capitulards abandonnèrent à Paris les preuves écrites de leur trahison, et, pour anéantir ces preuves, comme le dit la Commune dans son adresse aux départements, « ces hommes ne devaient pas hésiter à faire de Paris un monceau de ruines dans une mer de sang ».
Karl Marx
" Il y avait dans les esprits une véritable exagération de la valeur, des facultés, de l'importance de la garde nationale... Mon Dieu, vous avez vu le képi de M. Victor Hugo qui symbolisait cette situation. "
Le Général Trochu à l'Assemblée Nationale, - 14 juin 1871.
Victor Hugo, dans l'Année terrible, a défini le général Trochu pour la postérité.
" Participe passé du verbe Trop Choir ..."
XVII
Participe passé du verbe Trop Choir, homme
De toutes les vertus sans nombre dont la somme
Est zéro, soldat brave, honnête, pieux, nul,
Bon canon, mais ayant un peu trop de recul,
Preux et chrétien, tenant cette double promesse,
Capable de servir ton pays et la messe,
Vois, je te rends justice ; eh bien, que me veux-tu ?
Tu fais sur moi, d'un style obtus, quoique pointu,
Un retour offensif qu'eût mérité la Prusse.
Dans ce siège allemand et dans cet hiver russe,
Je n'étais, j'en conviens, qu'un vieillard désarmé,
Heureux d'être en Paris avec tous enfermé,
Profitant quelquefois d'une nuit de mitraille
Et d'ombre, pour monter sur la grande muraille,
Pouvant dire Présent, mais non pas Combattant,
Bon à rien ; je n'ai pas capitulé pourtant.
Tes lauriers dans ta main se changent en orties.
Quoi donc, c'est contre moi que tu fais des sorties !
Nous t'en trouvions avare en ce siège mauvais.
Eh bien, nous avions tort ; tu me les réservais.
Toi qui n'as point franchi la Marne et sa presqu'île,
Tu m'attaques. Pourquoi ? je te laissais tranquille.
D'où vient que ma coiffure en drap bleu te déplaît ?
Qu'est-ce que mon képi fait à ton chapelet ?
Quoi ! tu n'es pas content ! cinq longs mois nous subîmes
Le froid, la faim, l'approche obscure des abîmes,
Sans te gêner, unis, confiants, frémissants ?
Si tu te crois un grand général, j'y consens ;
Mais quand il faut courir au gouffre, aller au large,
Pousser toute une armée au feu, sonner la charge,
J'aime mieux un petit tambour comme Barra.
Songe à Garibaldi qui vint de Caprera,
Songe à Kléber au Caire, à Manin dans Venise,
Et calme-toi. Paris formidable agonise
Parce que tu manquas, non de cœur, mais de foi.
L'amère histoire un jour dira ceci de toi :
La France, grâce à lui, ne battit que d'une aile.
Dans ces grands jours, pendant l'angoisse solennelle,
Ce fier pays, saignant, blessé, jamais déchu,
Marcha par Gambetta, mais boita par Trochu.
Victor Hugo —L'Année terrible