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canard enchaîné

  • "Les salauds"

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    En février 1939, le Canard Enchaîné publiait un article de  Ernest Raynaud -dit "Tréno"-, sobrement intitulé "Les salauds". Il y épinglait des représentants de la presse qui insultaient les réfugiés espagnols;  ces hommes, ces femmes et ces enfants qui fuyaient le régime franquiste.

    Stéphane Lausane, dans Le Matin :

    Le chantage à la pitié : " Il y a plusieurs sortes de chantages : il y a le chantage à la menace et il y a le chantage à la pitié. La France qui est inaccessible à l'un doit s'employer à faire cesser l'autre." 

    G. de Marsilly, dans Le Petit Bleu:

    Dehors les bouches inutiles! dehors les parasites ! : "  Il n'est pas question de xénophobie. Pendant des siècles, la France a accueilli chez elle d'authentiques exilés parfaitement honorables... Mais depuis quelques temps seulement elle accueille aussi la vermine et semble se faire un bizarre point d'honneur de traiter sur le même pied la racaille et les honnêtes gens également venus de l'extérieur. c'est intolérable et ça doit cesser..."

    Et Léon Bailby, grand patron de presse, nationaliste et pétainiste :

    "Les âmes sensibles, chez nous, ont fait et font encore une besogne abominable.

     *

    Les salauds

    Sur l’une des photos de réfugiés espagnols publiées par les journaux, vous avez peut-être remarqué un petit garçon qui, vêtu d’une veste d’homme lui tombant aux chevilles, marchait gauchement le long d’une colonne de femmes et d’enfants en haillons.

    Au moment même où ce muchacho qui peut bien avoir cinq ans mettait le pied sur la terre de France, on pouvait lire dans Le Jour, sous la signature de l’honorable M. Léon Bailby, un article ainsi intitulé « La France s’ouvrirait aux tueurs ? »

    De ces tueurs, les photos nous en montrent des centaines. Il en est que leur mère transporte dans des couvertures parce qu’ils ont la fièvre et qu’il fait froid au Perthus. D’autres clopinent sur leur unique petite guibolle, ayant laissé l’autre à Barcelone ou à Granollers. Un autre, particulièrement précoce, est né dans le tunnel international de Cerbère : un sans-patrie, quoi ! D’autres encore, laissant pour un instant toute pensée meurtrière, se précipitent sur un butin de morceaux de pain blanc que leur tend un Sénégalais. Il en est un, de ces tueurs, qui a le toupet de rire de toutes ses quenottes de lait parce qu’il a retrouvé sa madre qui l’avait perdu dans la cohue.

    L’un d’eux est mort de faim en arrivant. Celui-là du moins ne troublera plus le sommeil de M. Léon Bailby. Mais les autres, les autres avec ces yeux sans visage, ces têtes hirsutes, ces pieds nus, ces dos déjà voûtés sous les loques, comme on comprend qu’ils terrifient M. Bailby. Ils sont capables de le dégoûter à jamais des petits garçons.

    Au fait, que viennent-ils faire chez nous ces marxistes en layette, ces rouges en culotte courte, ces Passionarias en herbe qui se font les dents sur des quignons de pain en attendant de croquer des gorges d’ecclésiastiques? Et que viennent y faire leurs mères ? « Est-ce que Franco massacre les enfants et les femmes ? »

    Cette question, c’est notre bon confrère, Stéphane Lauzanne, qui la pose dans Le Matin de lundi dernier. Et qui la pose avec une ingénuité si désarmante qu’elle arrête la paire de claques au vol.

    Son article porte ce titre charmant « Le chantage à la pitié. » Et M. Lauzanne d’écrire « Il y a plusieurs sortes de chantages. Il y a le chantage à la menace et il y a le chantage à la pitié. La France qui est inaccessible à l’un doit s’employer à faire cesser l’autre. »
    Hep, là-bas, le marmot haut comme trois pommes qui marche empêtré dans la veste de son père, c’est compris ?
    La France est inaccessible au chantage.

    Robert Treno

    Anthologie du Canard Enchaîné : 50 ans de Canard, Tome 1 : 1914-1940

    voir aussi : Martin Laurent, « Le Canard enchaîné, un « objet politique mal identifié » », Revue d’histoire moderne et contemporaine 2/ 2003 (no50-2), p. 73-91
    URL : www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2003-2-page-73.htm.